Jusqu’à présent, aucune crucifixion n’a marqué la route de la Légion. Souvent incomprise elle n’a cependant reçu d’affronts que venant d’ennemis qu’elle méprisait et elle a pu faire fi de leurs outrages. Arrivaient-ils seulement jusqu’à elle, protégée par son éloignement, appliquée à la seule grandeur de sa tâche, et immunisée par son orgueilleuse exaltation ? Ces sarcasmes au surplus ne s’adressaient pas qu’à elle, car c’est toute l’Armée qui était prise dans le collimateur.
Qu’il est ridicule d’ailleurs cet anti-militarisme congénital des Français qui ne conduit qu’à des contradictions ! Interrogez en effet un de ces pourfendeurs des cadres : « Toute la gradaille », les « juteux » en particulier, sont de sinistres salauds ne valent pas la corde pour les pendre ; mais son Colonel à Lui était un bon vieux, son Capitaine un vrai père de famille, son Adjudant un chic type, un copain. Et du rassemblement de tous ces braves types on fait des Régiments de « peaux de vache ».
Mais voici que tout change et que la Légion va se trouver aux prises avec des tâches qui ne soulèvent que discussions entre les Français. Le pays va se diviser, une partie de l’opinion se détournant de la vérité de la veille, réprouvant l’œuvre civilisatrice de la France dans son empire, se désinterressant des efforts nécessaires à la sauvegarde de ses intérêts et même à la protection de ses ressortissants, poursuivant une politique d’abandon au nom d’idéologies qui hier encore eussent paru sacrilèges et qui le demeurent aux yeux de ces soldats simples que continue à émouvoir la montée de nos trois couleurs dans le ciel de leur exil. Jour après jour, crescendo, en fonction de la certitude de l’impunité, tout va être mis en œuvre pour écoeurer la Légionétrangère ! Et si, au grand regret de ses foussoyeurs, elle reste égale à elle-même malgrè l’excés des sacrifices vains et des manifestations d’hostilité, alors on cherchera à troubler les cadres, à les faire douter de la légitimité de leur action, à les diviser.
C’est en effet l’heure des drames français, celui de l’Indochine, celui encore plus douloureux de l’Algérie, l’heure des moments les plus tortuants de la vie de la Légion. Proches de nous ces deux campagnes vont faucher une jeunesse que nous avons connue, formée, aimée ; elles laisseront des plaies béantes.
Mais leur étude permet de mettre en lumière avec éclat la pérennité de la qualité du légionnaire que rien ne peut entamer : il a conservé les vertus militaires et spartiates de ses anciens, il n’a pas renoncé à son attachement parcheminé au passé, aux traditions ; et, cherchant à faire mieux que ses pères, il s’adapte en même temps à une conception moderne du combat, plus souple, plus légère, plus rapide ; plongé dans la guerre subversive, où les complicités locales s’exercent à visage couvert, où l’âge et l’innocence ne vous protègent plus, il va faire face à la sournoiserie, à la lâcheté, ces nouveaux adversaires.
Général (2s) Louis Gaultier, ancien président fédéral de la FSALE auteur avec le colonel (er) Charles Jacquot de l’édition « C’est la Légion » en 3 tomes.