L’autel du Luthérien :
A la base arrière du régiment, dans le village de Phulu, j’avais coutume le dimanche de célèbrer la messe dans une sorte de préau ouvert à tous les vents, sur une table quelconque qui traînait par là. Je n’en étais pas offusqué, car il fallait se faire à tout.
Quelle ne fut pas ma surprise lorsqu’un jour, revenant d’opération, je trouvai ledit préau totalement transformé. Le long d’un mur, une sorte d’autel sur une estrade, en bois, certes, mais recouvert de ciment pour lui donner une homogénéité. Au dessus de l’autel, un grand Christ en croix, également en ciment grossier, mais émouvant de bonne volonté.
Je m’en allai jusqu’au bureau du Capitaine Onimus qui commandait la base arrière. C’était un capitaine d’origine prussienne qui avait conquis ses grades peu à peu jusqu’à celui de capitaine. Derrière lui, sans doute 15 ans de Légion. Je lui fis part de étonnement et de mon admiration. Il me répondit très simplement avec un fort accent germanique : « Mon Père, ce n’était pas correct. Alors, j’ai cpnvoqué trois légionnaires, l’un qui a fait les beaux-arts à Paris, un menuisier et un maçon et je leur dit : « démerdez-vous, je veux que le père ait quelque chose de propre pour dire la messe. »
Et, jusqu’à mon départ de la Légion, chaque fois que je me trouvais à la base arrière, je célébrais la messe dans cette chapelle, œuvre de tant de bonne volonté.
C’est peut-être l’occasion de dire à quel point les légionnaires avaient le sens du sacré. Quelle que soit leur origine. Les musulmans de Besançon disaient du pèreChays : « C’est le grand marabout chrétien. » Dans ses mémoires, jacques Charrière rappelle cette anecdote d’un repas au cours duquel un serveur marocain voulait à tout prix, à la popote des officiers, le servir avant le colonel, parce qu’il était prêtre, l’homme du sacré.
Dans la mesure où je remplissais les exigences de ces hommes, ils me portaient un infini respect, parce que j’étais l’homme du sacré. J’ai toujours choisi mon ordonnance et mon chauffeur, deux allemands, anciens de la Kriegs marine, cet honneur étant normalement réservé au Colonel.
Et, lorsque je célébrais la messe à la cathédrale d’Hanoï, les sièges de la jeep étaient soignesement recouverts de couvertures américaines pour que je ne tache pas ma tenue blanche. Et tous les deux avaient revêtu la grande tenue des légionnaires, avec ceinture bleue et les épaulettes. C’était un devoir pour eux, parce qu’ils accompagnaient leur aumônier.
Je n’en tire aucune vanité, mais ce sens du sacré me frappe encore dans une civilisation qui a tendance à tout banaliser et qui n’a plus de points de repère pour trouver son chemin.
Demain: La jonque patrouille en mer et La grande illusion au Tonkin …