Huile sur toile par Antoine Marquet.

Avec la jonque patrouille en mer suivi de "la grande illusion" :

 

Cela se passait au sud du delta, dans la région de Nam Dinh, dans un village de pêcheurs. Une section de la Légion tenait un poste de surveillance quelques part sur la côte.

Ce matin-là, des renseignements laissaient prévoir une expédition viêt-minh contre les barques de pêcheurs. C’est pourquoi un groupe de légionnaires prit place sur une jonque traditionnelle aux grandes voiles en ailes de papillon et quitta le port grossier. A bord, quelques Vietnamiens et 10 légionnaires armés. Toute la matinée et une partie de l’après-midi, nous avons tiré des bordées au milieu des barques de pêcheurs. Le soleil était magnifique, la mer assez tranquille. Le calme permit de larges échanges aussi bien avec les légionnaires qu’avec les Vietnamiens, dont plusieurs avaient appris le français à l’école. Au cœur de la guerre, ce fut un temps de paix qui rompait ave les habitudes. Au retour, le soir, je crois que nous n’étions plus tout à fait les mêmes.

 

 

« La grande illusion » au Tonkin :

Cela se passait au nord du Tonkin, à Phu Lang Thuong. Le poste important était commandé par un officier d’origine comtoise, remarquable par son sens de l’humain. J’arrivai donc, en fin d’après midi, pour passer 24 heures dans le poste et rencontrer cadres et soldats de la Coloniale. L’apéritif était, bien sûr, la première activité lorsque quelqu’un était accueilli dans le poste. Au cours de la conversation, ce commandant me fit part de la présence d’un officier viêt-minh, fait prisonnier au cours d’une opération la veille. Et il me partagea son souhait d’inviter ce prisonnier à la popote du poste pour le repas du soir. L’initiative me parut originale quoique risquée. Le commandant s’en alla jusqu’au local qui faisait fonction de prison et tint au prisonnier le discours suivant : « Vous êtes un officier comme moi. Vous faites la guerre comme moi. Pouvez-vous me donner votre parole d’honneur que vous ne teterez pas de vous évader entre 19h et 23h, c’est-à-dire pendant le repas que nous prendrons ensemble ? » L’officier viêt-minh, sans hésiter, donna sa parole. Et nous nous sommes retrouvés à table tous ensemble, le prisonnier assis à la place d’honneur, à la droite du commandant. Je ne pouvais pas ne pas penser à Pierre Fresnay et à Erich Von Stroheim dans le film « la Grande illusion ». Le climat était un peu le même.

Le repas fut passionnant. Ce jeune officier, qui parlait parfaitement le français, nous raconta son cheminement. Il avait fait des études dans un lycée, puis à l’Université de Saïgon où il avait fait partie d’un groupe nationaliste qui rêvait de donner l’indépendance à leur pays. Il était lui-même catholique et n’avait accepté qu’avec peine la mainmise du communisme sur le courant nationaliste. Il avait fait partie de la fameuse Division 308, que nous connaissions bien, avant d’être affecté à la formation des Bo-doï (partisans ruraux), ce qui expliquait sa présence dans le secteur. Les échanges furent à la fois riches et délicats, mais nous révélèrent un peu ce que pouvaient être devenus bien des étudiants formés par la France, lecteurs de nos grands auteurs, où ils avaient trouvé le souffle et l’inspiration qui leur faisaient désirer l’indépendance.

Lorsque vint l’heure fatidique, il fut reconduit dans sa cellule, mais nous sommes restés encore longtemps autour de la table à discuter de cette rencontre.

Qu’est-il devenu ? Le lendemain, il partait pour Hanoï où, sans doute, il fut longuement interrogé. Quelles furent les sanctions infligées ? Fut-il traité comme prisonnier de guerre ? Autant de questions auxquelles je n’ai jamais eu de réponses.

Just de Vesvrotte.

 

Demain: le Rocher d'Hoa Binh...