Le rocher d’Hoa Binh :
C’était au cours de l’hiver 1951-1952. Depuis l’automne, on appliquait la stratégie élaborée par le maréchal de Lattre de Tassigny : entourer le delta d’une ceinture de postes bétonnés dont les garnisons tiendraient en échec les unités viêt-minhs susceptibles de vouloir pénétrer dans le triangle protégé. De ce fait, les bataillons de légionnaires se trouvaient transformé en architectes et maçons. Cette situation statique n’était pas spécialement pour leur plaire. Néanmoins, ils accomplissaient les ordres.
Pour sa part, le 3ème Etranger s’était établi dans une vallée prise entre deux chaines de montagnes formées principalement des fameux pitons calcaires que les touristes visitent dans la baie d’Along, avec cette différence que les calcaires de Choben dominaient des rizières et des collines et non la mer.
L’Etat-major avait pris place à l’entrée de la vallée, dans une plaine où la boue était reine dès que tombait la pluie. Mais un projet d’opération était en vue : prendre la ville d’Hoa Binh pour en chasser les troupes Viêt-minhs.
Entre la vallée de Choben et Hoa-Binh, la route était scabreuse, prise entre la forêt et les montagnes abruptes, un peu comme la fameuse RC4 de Cao Bang dans le Nord-Tonkin qui nous avait valu tant de morts, de blessés, de prisonniers, environ un an plus tôt.
L’opération apparut pleine de promesses et l’objectif prévu fut atteint. Mais les unités viët-minhs ne mirent que peu de temps à réagir et bientôt la route fut coupée entre l’arrière et les troupes les plus avancées. Il y avait en particulier un secteur dominé par un piton calcaire que les troupes, envoyées pour s’en emparer, ne purent jamais atteindre.
C’est alors que je fus convoqué par le colonel qui me dit : « Un bataillon du 2ème Etranger va tenter de prendre ce piton pour dégager la route, ils n’ont pas d’aumônier avec eux. Je crois que ce serait bien si vous les accompagnez. » Il était bien difficile de refuser. C’est ainsi que je me retrouvai avec un bataillon que je ne connaissais pas, mais entre légionnaires le contact se fit immédiatement . Je nous vois encore dans cette clairière occupée par diverses troupes où j’ai retrouvé le général Gilles, parachutiste.
Le commandant accepta la mission qui lui était confiée, en réclamant simplement qu’on lui laisse toute liberté quant à l’exécution. Il exigea que l'Intendance lui procure 1 000 paires de chaussures « Pataugas » dont les semelles de caoutchouc sont silencieuses. Il choisit aussi l’heure de son départ : 23h.
En pleine nuit, dans un silence absolu, le bataillon partit sur la route avec en tête, les démineurs munis de leur « poêles à frire » afin de parer à toute surprise. Nous avons sans doute marché lentement, et sans bruit durant 4 kilomètres avant d’arriver enfin au pied du piton calcaire. Escalade rapide dans le rocher grâce aux lianes et aux plantessauvages. Lorsque le jour se leva, la position était occupée.
La réaction ne se fit pas attendre. Toute la matinée, les troupes viêt-minhs voulurent de nouveau couper la route au pied du piton, rencontrant les tirs de chars du 2ème Dragons. Il y eut des blessés qu’il était impossible de ne pas aller chercher pour les mettre à l’abri.
Dans les jours qui suivirent, cette opération permit de rapatrier dans le delta les troupes d’Hoa Binh parmi lesquelles beaucoup de morts et de blessés. C’est là que fut tué mon cousin, Michel Chevreul, en protégeant avec ses chars le repli d’une compagnie de tirailleurs algériens.
Demain : "Légionnaires devenus Moines" suivi de "Visite à l'évêque de Bac Ninh...