Légionnaires devenus Moines :
Il est infiniment rare qu’un légionnaire parle de son passé. Ce dernier lui appartient. Il en a parlé en entretien lors de son recrutement ; il a changé de nom. Et, puisque la Légion a accepté son engagement, elle le protégera contre toute atteinte extérieure. Néanmoins, avec quelques-uns, il m’est arrivé de discuter de leur passé.
Ce fut le cas en particulier avec quelques anciens officiers de l’armée belge ou française. La Légion recrute en fonction des évènements politiques. Nous étions encore tout proches de la guerre et le recrutement s’en ressentait : beaucoup d’Allemands désorientés après la guerre dont la famille était morte dans les bombardements et qui ne savaient qu’un métier : faire la guerre. Egalement un fort recrutement de ceux que l’on appelait les personnes déplacées, venus de tous les pays de l’Est, encore des Espagnols qui rappelaient la guerre d’Espagne de 1936.
Parmi ces anciens officiers belges et français, des hommes qui, en toute honnêteté, connaissant l’horreur du communisme, s’étaient laissé abuser et étaient partis avec les troupes allemandes combattre les unités russes. Ils relevaient des tribunaux et n’avaient vu qu’une issue pour sortir de cette impasse : la Légion.
Donc, trois d’entre eux m’ont longuement parlé et ont voulu réfléchir avec moi sur leur cheminement à venir.
Qu’elle n’a pas été ma stupéfaction lorsque, bien des années plus tard, j’ai reçu des demandes testimoniales concernant 6 légionnaires que j’avais connu et qui, devenus moines, allaient recevoir le sacerdoce. Ils étaient entrés, les uns chez les cisterciens, les autres chez les bénédictins.
Je ne sais plus rien d’eux. Mais je pense que, de temps en temps, du fond de leur monastère, ils doivent un peu prier pour leur ancien aumônier.
Visite à l’Evêque de Bac Ninh :
La situation du clergé vietnamien était extrêmement difficile. Avec un peu de naïveté, la hiérarchie militaire pensait en toute conscience que les catholiques étaient du côté français, puisque nous combattions le communisme et nous les compromettions llègrement de toutes sortes de manières. Quel serait leur sort, lorsque nous les abandonnerions ?
Je garde le souvenir d’un poste que nous avons ainsi abandonné pour des raisons stratégiques. Il était occupé sur une digue par des partisans catholiques épaulés par quelques soldats. Or, les ordres imposaient le repli et l’abandon de ce poste. L’opération fut accompagnée par les chars du colonel de Boisredon, un homme de cœur. Sur la digue, les chars et les camions déménageaient le poste. A la porte du village, les paysans nous regardaient le visage imperméable, mais ils n’en pensaient pas moins. Ils savaient que, dès la nuit suivante, les partisans viêt-minhs viendraient dans le village et décapiteraient en public, pour faire un exemple, au moins le chef du village, mais peut-être aussi quelques-uns de ses adjoints. C’est alors que j’ai vu pleurer ce colonel de Cavalerie. Lorsque les moteurs se sont mis en marche, nous avions honte.
C’est dire que rendre visite à un évêque vietnamien demandait une infinie délicatesse. Nous nous retrouvions comme croyants et prêtres, mais déchirés par un drame. Ses diocésains étaient ou bien compromis avec les troupes françaises, ou bien combattants du maquis viêt-minh. La guerre nous séparait, la foi nous réunissait. Mais comme il était difficile de trouver le langage juste. Néanmoins, nous avons connu plusieurs fois des échanges profonds et surtout des temps de prière en commun.
Just de Vesvrotte.
Demain : « Le symbole du sel » suivi : « Un colonel Philosophe »…