Extraits du compte rendu de l’audition du général Thierry Burkhard
chef d’état-major de l’armée de Terre

Réponses du général Thierry Burkhard à quelques questions des députés (extraits)


(…) Préparation opérationnelle des forces
Nous avons pris des mesures comme la règle des trois tiers. Nous conduisons nos instructions en diminuant par trois le volume de personnel formé, ce qui permet d’avoir des dispositifs aérés et de ne pas concentrer nos soldats. Les activités se déroulent aussi en trois temps :
- une phase préparatoire où nos militaires s’équipent avec les effets de protection et où les consignes sont rappelées,
- le déroulement de l’activité
- et la sortie d’activité avec la décontamination du matériel.
Cela prend du temps et met l’instruction sous contrainte. Je constate que nos unités se sont assez bien adaptées car des solutions ont été trouvées.

(…) Instruction parachutiste  
Pour des raisons de sécurité, nous avons mis en sommeil les stages des troupes aéroportées qui nécessitent la coordination de deux armées, creusant ainsi un retard de formation et de préparation opérationnelle.

(…) Recrutement
La baisse du recrutement n’aura pas de conséquence immédiate sur les OPEX ni sur les opérations intérieures (OPINT) comme Sentinelle. Au pire, nos unités tourneront temporairement plus vite en OPEX ou en OPINT. Il est également important de noter qu’un régiment de l’armée de Terre n’est pas un espace confiné comme un porte-avions et que le COVID y est plus facilement gérable. Dès qu’un soldat est malade, il est isolé, ainsi que son entourage. Nos cadres au contact permanent de la troupe permettent rapidement d’identifier un malade et de l’isoler.

(…) Opex et covid
Les opérations de Barkhane se poursuivent normalement. Par chance, les unités projetées en février étaient saines. Quelques cas sont néanmoins apparus sur zone. Quand un soldat ressent de la fièvre dans un véhicule blindé, les dix occupants sont isolés. Les opérations doivent toutefois continuer de manière normale car nos adversaires poursuivent le combat. Nous n’avons donc pas le choix.

(…) Armée pour opex et opint (opérations extérieures et intérieures)
Certains considèrent notre armée comme uniquement expéditionnaire, mais pourtant, quand les Français en ont besoin sur le territoire national, elle est là comme le montre cette crise. Le risque serait d’avoir une armée optimisée pour de l’appui intérieur et de voir, après, si nous en aurions besoin ailleurs. Cette crise montre qu’une armée principalement tournée vers les menaces extérieures peut également agir sur le territoire national. En revanche, il est certain que notre armée n’a pas assez d’épaisseur pour faire face à un conflit majeur doublé d’une crise intérieure d’ampleur. Je pense à des ruptures d’approvisionnement d’alimentation, à l’arrêt des transports ou à des catastrophes naturelles.
Ce qui me semble important, c’est que l’ambition d’une armée capable de se battre dans le haut du spectre, dans le cadre d’un conflit majeur, nous forcera à avoir une épaisseur qui nous rendra d’autant plus efficaces dans une opération intérieure. Qui peut le plus peut le moins.
Sur le territoire national, une partie des ressources humaines stratégiques peut également venir de la réserve. Si l’opération se prolonge, elle doit être engagée. Il faut donc aller plus loin dans le développement d’une réserve plus réactive et toujours plus opérante.

 …) L’armée de Terre ne choisit pas ses missions, elle les exécute
Les forces de Barkhane en opérations dans la zone des trois frontières obtiennent des résultats exceptionnels. Les unités déployées au Mali font preuve d’une grande efficacité. Concernant votre réflexion sur Sentinelle, il est exact de dire que certains engagés dans l’opération n’en ont pas immédiatement compris l’utilité. Toutefois, l’armée de Terre exécute les missions qui lui sont confiées, ce qui clôt un peu le débat, et nous avons pour mission de protéger les Français aussi bien sur le territoire national qu’à N’Djamena. Nous ne choisissons pas nos missions.
La notion d’ultima ratio est liée au niveau d’engagement. Tout est question de mesure, comme toujours. L’armée de Terre sait tout faire ou presque, mais jusqu’à un certain point. Par exemple, l’armée de Terre peut-elle se consacrer entièrement à la distribution de masques ? La réponse est oui mais l’employer uniquement à distribuer des masques n’est pas sans conséquence, par exemple sur le niveau de prise de risque de la relève dans la zone des trois frontières. L’ultima ratio ne doit pas vouloir dire solution de facilité. Vous l’avez vu, nos soldats sont heureux d’avoir été engagés au service des Français mais mon rôle est aussi de préparer ce que l’on me demandera demain.
À partir du 11 mai, chacun doit se réorganiser progressivement pour faire ce qu’il est le seul à savoir faire : l’armée de Terre est seule à savoir s’engager en OPEX dans la zone des 3 frontières.

 (…) Equipement (programme d’armement Scorpion)
L’année n’est pas normale pour l’armée de Terre, elle ne l’est pas non plus pour les industriels. En revanche, comme tout le monde, en dépit de la crise, leurs objectifs de livraisons restent les mêmes, à ce stade. Je resterai un client exigeant dans ce domaine.

 (…) Fidélisation et commandement
Quelqu’un qui s’engage pour être soldat doit être employé comme un soldat. D’abord, il faut appliquer des normes d’entraînement, disposer du matériel nécessaire et des moyens suffisants qui préparent à l’engagement. Si nos soldats sont envoyés à la guerre, ils doivent être entraînés et être capables de gagner. Ensuite, ils doivent se sentir utiles et les chefs doivent donner du sens aux actions dans lesquelles on les engage. Enfin, ils restent s’ils se sentent bien. Un soldat qui s’estime mal commandé, mal logé, mal nourri s’en va et je le comprends. C’est pour cela que la qualité du commandement et le niveau du soutien sont des éléments clés. Nos chefs doivent bien commander, ce qui n’est pas facile, d’où l’effort que je fais sur la chaîne de commandement.

 (…) Relations avec les ARS
Comme je l’ai dit précédemment, il faut bâtir la confiance entre nos institutions.
Nous travaillons à une action décentralisée avec l’Éducation nationale, les maires et les députés pour les cérémonies du 11 Novembre. Cette crise a ouvert de nombreuses portes.

 Général d’armée Thierry BURKHARD
Chef d’état-major de l’armée de Terre
Extraits du CR d’audition)

 

Quelques réactions des députés de la commission à l’issue de l’exposé du général Thierry Burkha

M. Bastien Lachaud.
(…) Je partage votre inquiétude quant à notre capacité à assurer nos stocks de munitions en cas de choc de haute intensité, surtout après la vente de Manurhin, le choix du fusil HK416 et le démantèlement de GIAT industries. Les dépendances européennes sont inquiétantes au regard du peu de solidarité exprimée dans les moments critiques.

M. André Chassaigne.
(…) Vous avez invité à l’humilité et l’avez manifestée par votre ton et votre analyse, ce qui mérite le respect. C’est un message adressé aux politiques.

M. Christophe Lejeune.
(…) Je m’exprime depuis Luxeuil-les-Bains, où le légionnaire de première classe Kevin Clément avait vu le jour, il y a vingt et un ans. C’est là aussi que son engagement avait débuté comme sapeur-pompier volontaire. L’émotion est grande parmi ceux qui ont travaillé à ses côtés, jusqu’en 2017, quand il a rejoint la Légion étrangère.
J’ai une pensée particulière pour ses parents et sa famille, ainsi que pour ses frères d’armes. Je serai le 8 Mai au monument aux morts, où nos pensées l’accompagneront ainsi que tous vos hommes qui ont disparu récemment.

M. Charles de la Verpillière.
(…) La collaboration entre l’armée de Terre et les autorités civiles doit être prolongée et nous devons en tirer les conclusions. Si les préfets savent dialoguer avec les militaires, des progrès restent à faire dans les relations avec les ARS, les recteurs et inspecteurs d’académie et les exécutifs des collectivités territoriales.

 M. Jean-Michel Jacques.
(…) Dans la zone des trois frontières, nous remportons de belles victoires. Nos héros ne sont pas morts pour rien.
La vidéo que vous nous avez transmise illustre parfaitement vos actions dans nos territoires au contact des préfets, des services de l’État et des maires. Rassurez-vous, rares sont les députés ayant trouvé le décodeur des ARS. Nos concitoyens ont vu que notre armée, où j’ai passé 24 ans, est présente quand on a besoin d’elle. Alors que les premières missions Sentinelle avaient provoqué des réticences, en 2020, l’état d’esprit a changé. Tout en maintenant la notion d’ultima ratio, saisissons cette possibilité pour faire accepter par nos concitoyens la nécessité d’investir dans nos armées.