Une fois n’est pas coutume..
Le texte qui suit n’est pas de moi. J’ignore le nom de son auteur comme j’ignore comment il est venu jusqu’à moi sous la forme de photocopies de pages d’un document relié par une spirale en plastique… Il raconte un épisode très intéressant de la vie à la Légion « du temps des Intendants Militaires ». Je connais un des acteurs principaux de cette histoire. Il a été mon chef de corps entre 68 et 70. Je l’ai revu en l’an 2000, modestement assis au fond de la salle de la Fondation Singer-Polignac, à Paris, où se déroulait un colloque sur la Légion étrangère, à la préparation duquel j’avais participé pendant un an. Cet homme que j’ai apprécié et qui se trouvait là, anonyme, s’appelait Fuhr. Il était général de corps d’armée en 2ème section. Après cette rencontre il m’a écrit deux fois. Puis il est mort ignoré de la majorité... Pourtant, après le colonel Chenel, il avait tenu la place qu’occupe aujourd’hui le COM.LE. L’histoire que je me propose de vous rapporter est ancienne… longue, raison pour laquelle elle fera l’objet de plusieurs « Lettres ». Comme une "Saga" conte d’été… son titre:
La caisse noire:
« Aucun chef d’une unité de Légion qui se respecte ne peut se passer d’une caisse noire, qu’il gère scrupuleusement comme un bon père de famille, en tenant sa comptabilité avec un soin extrême. Alimentée (jadis. Ndlr) par des ressources inavouables elle autorise, sans faire appel à la hiérarchie, des réalisations de toute première nécessité que l’administration refuserait car non prévues par les règlements militaires toujours en retard d’une génération. Elle permet aussi d’améliorer considérablement le cadre de vie par un environnement digne d’une unité de qualité, soucieuse de son prestige. Enfin, elle permet de recevoir correctement ceux qu’on apprécie, parce qu’ils savent aimer et aider la Légion.
Cette précieuse caisse est alimentée, en général, par des versements mensuels à peu près réguliers et par d’autres, tout-à-fait occasionnels. Dans le flux constant des recettes figure, sous forme de dons aux « œuvres de la Légion étrangère », la taxe prélevée sur les amours tarifées des dames de petite vertu qui, dans le sillage de la Légion, vivent de leurs charmes. C’est une juste rétribution pour le chef responsable qui inspecte régulièrement les lieux de plaisir, vérifie leur salubrité et se fait présenter les jeunes femmes pour s’assurer qu’elles sont en bonne santé, qu’elles n’ont aucune réclamation à formuler, qu’elles semblent de tenue irréprochable et manifestent une inclination de bon aloi en faveur des légionnaires. Il y a parmi ces recettes inavouables, celles procurées par une porcherie dont l’existence est connue de tous, mais que le contrôle et l’intendance feignent d’ignorer dans leurs vérifications et les « enveloppes » remises par les fournisseurs de la Légion à l’occasion des cérémonies militaires et de la Noël. Les recettes occasionnelles ne méritent pas d’être détaillées car elles se présentent sous une forme aléatoire et fortuite. Mais comme tout ce qui relève du hasard, elles engendrent des rentrées assez constantes sur de longues périodes. Une caisse noire bien pourvue constitue une sorte de sésame. Elle autorise des audaces par sa seule existence et permet des réalisations de prestige lorsque la nécessité le demande. Elle donne de l’audace au responsable qui la gère cependant avec prudence et une honnêteté avaricieuse.
Le jour où commence cette histoire, un peu avant 1950, le capitaine commandant la compagnie saharienne portée de Légion (C.S.P.L.) d’A…, ne décolérait. Le gérant du foyer avait disparu avec toutes les liquidités de cet organisme en choisissant bien son jour, un lendemain de solde. En même temps que lui, la fille d’un employé des services municipaux, un ancien légionnaire, s’était enfuie laissant un mot pour dire qu’elle ne pouvait résister à la passion qui la submergeait dans la personne d’Otto, le gérant du foyer de la compagnie. La totalité de la caisse noire suffirait tout juste à boucher le trou ouvert par cette désertion stupide d’un gradé jusque-là parfaitement correct. On sait que l’amour peut rendre fou, mais à ce point-là, c’est trop cher. Il reviendrait. La chose apparaissait certaine. On le récupérerait, mais en attendant, le plus important consistait à clore habilement le rapport sur cette stupide affaire, pour ne pas voir s’ouvrir une enquête administrative, toujours génératrice d’ennuis majeurs sur le motif de détournements de fonds appartenant à l’État.»…
À demain…
AM