Il y avait quatre compagnies montées, une par régiment ; celle de Méridja, la Compagnie Montée d’Algérie dépendait du 1er Régiment de Sidi Bel Abbès. Elles avaient été créées pour surveiller les pistes du Sud ; plus tard les autos leur enlevèrent leur suprématie dans ce service ; elles furent alors employées au Maroc, en colonnes, avec les autres unités, continuant entre temps les reconnaissances et les poursuites.

Composées presque exclusivement de volontaires, elles avaient acquis un renom prodigieux. Les chleuhs les redoutaient. Les officiers des compagnies montées partageaient avec leurs collègues des Affaires Indigènes l’honneur d’avoir leur tête mise à prix par les dissidents. Le 14 octobre l’anniversaire de l’embuscade de Djihani en 1929 où un peloton de la Compagnie Montée d’Algérie fut presque entièrement anéanti, était, est peut-être encore, jour de fête dans tous les ksour du Sud, dans toutes les tribus nomades depuis la bordure du Grand Erg jusqu’aux confins de la Mauritanie.

 

La compagnie montée, la « Montée » disait-on entre initiés, était une unité légère à deux pelotons de deux sections de voltigeurs et un groupe de mitrailleuses. Des mulets, plus résistants que les chevaux servaient de montures, une bête pour deux hommes. Les deux paquetages étaient ficelés sur la selle, et chacun des deux hommes montaient une heure tandis que l’autre marchait sans atre charge que son mousqueton et ses cartouches. Au bout d’une heure de marche, « titulaire », le plus ancien des deux qui était responsable du mulet et de son harnachement, et « doubleur » se remplaçaient en selle au commandement rituel de « Changez, montez ! » Chaque équipe avait cinq bidons d’eau, deux par homme et un de réserve auquel il était interdit de toucher sans ordres.

 

Une telle organisation permettait des étapes formidables. Quarante kilomètres, c’était une promenade de santé ; cela ne devenait sérieux que passé cinquante ; soixante, soixante dix, voire quatre vingt, cela se faisait, à la bonne moyenne de six à l’heure. En poursuite, il n’y avait plus de limite. A toute la vitesse qu’il était possible de soutenir. Souvent plus de sept kilomètres à l’heure. La compagnie filait à travers les plaines désertes ; de temps en temps un message qu’apportait un avion donnait orfre de changer de route, parfois à l’heure de camper, et la poursuite continuait… Il n’y avait plus de kilomètres – Où les aurait-on pris ? – C’étaient des heures, seize, dix-huit, sans pauses aux changements, changez-montez en voltige et repartir aussitôt.

 

Tous étaient venus en connaissance de cause. Tous avaient demandé à venir ou s’étaient présentés spontanément lorsqu’il avait fallu des volontaires, sachant qu’ils allaient vers une vie terriblement dure, vers la soif, la fatigue sans limites, le soleil implacable, le danger. La Montée, c’était sous toutes ses formes le risque de laisser sapeau quelque part un jour ou l’autre. Et ils étaient venus d’eux-mêmes en le sachant.

 

Aussi quelle équipe de coureurs d’aventure ! Pas faciles à mener, pour la plupart ! Il fallait pour les commander ne douter de rien, surtout ne pas douter de soi-même, du moins afficher une confiance en soi que l’on était parfois loin d’éprouver, être dur à intimider ou le paraître. Mais on pouvait leur demander tout. Dans le palmarès des compagnies montées, il y a des coups durs que ne fit jamais autre troupe au monde.

 

Le repos leur était bon huit jours, une ville un soir pour une formidable orgie. C’était au désert qu’ils se sentaient chez eux.

 

A suivre – « Première nuit de bled »…