La mort en piochant :
C’est le 12 juin que le bataillon de Légion commence sa portion de route. Seules, les attaques de l’ennemi font momentanément abandonner les outils, qu’ils ont baptisés – fusil modèle 1895 – Mais le travail prolongé sous le climat des tropiques se fait chaque jour plus pénible. Les figurent pâlissent, les joues se creusent. Le capitaine Roulet, de l’état-major de la 2ème Brigade, observateur sagace, note : « Chaque coup de pioche donné par un Européen représente un accès de fièvre. Aussi, bien que nous soyons déjà sur les hauts plateaux, les hommes tombent comme des mouches, et c’est pitié de voir ces malheureux, partis pleins d’entrain et d’espoir, mourir sans une plainte, la pioche à la main, d’un accès pernicieux ou d’un coup de soleil qui les enlève en trois ou quatre heures. Les tombes jalonnent nos étapes.»
Au 1er bataillon du 200ème de ligne, 58 hommes seulement sont en état de marcher sur un effectif originel de 800. Les bataillons de tirailleurs souffrent également beaucoup. La Légion, qui cependant a perdu son commandant enlevé par un accès pernicieux, demeure l’unité la plus solide.
Fin juillet, l’avant-garde peut espérer atteindre bientôt son premier objectif. Après un simulacre de combat, l’armée hova abandonnela solide position d’Andriba, pourtant renforcée par plusieurs ouvrages dotées d’artillerie. Le 26 août, la route carossable atteint elle aussi Andriba, mais la somme des efforts demandés aux troupes dépasse le raisonnable. Il faut adopter un nouveau dispositif et s’alléger pour la poursuite rapide de la campagne.Une colonne de 4000 combattants, les plus résistants de l’effectif (dont 19 officiers et 330 légionnaires) sera lancée avec armes, bagages, munitions et ravitaillement à dos d’homme, avec mission de franchir au plus vite les 200 kilomètres qui la séparent encore de Tananarive. Le départ est fixé au 14 septembre. Quatre jours auparavant, un important renfort comptant entre autres 3 officiers et 47 légionnaires est arrivé d’Algérie. Le général Reibell raconte : Le mieux tenu de tous ces détachements de relève était celui de la Légion, dont la tête de colonne était superbe. Un grand capitaine, maigre et sec, avec une barbe de sapeur, nommé Brundsaux, portant sur la poitrine la Légion d’honneur et les médailles du Tonkin et du Dahomey, et deux lieutenants, Tahon et Martin, ayant ces deux mêmes médailles, tous trois compagnons de brousse inséparables. »
Baptisée « Marche ou crève » par les légionnaires « toujours réputés pour la précision de leurs formules », la colonne aborde bientôt les monts Ambohimena, dernière barrière naturelle avant la semi-plain marécageuse de la capitale. Les Hovas y ont construit quatorze ouvrages fortifiés, qui commandent les deux seuls sentiers praticables au franchissement. Mais, peu courageux à leur habitude, après avoir ouvert le feu alors que le régiment d’Algérie était encore hors de portée, ils s’enfuieront à toutes jambes de crainte d’être tournés.
Dix jours plus tard, ils ne mettent guère plus d’énergie à défendre le palais de leur reine. A peine l’artillerie du général Duchène a-t-elle ouvert le feu que le drapeau blanc est hissé sur les tours. Tananarive ainsi enlévé, la campagne était terminée. Malgrè un armement parfois plus moderne que le nôtre, et malgrè leurs instructeurs anglais, les Malgaches ne s’étaient pas montrés brillants adversaires et n’avaient guère donné aux légionnaires prétexte à action d’éclat. Mais, à l’égal du plus beau fait d’armes, l’abnégation dont avaient fait preuve tous les personnels du bataillon de Légion pouvait faire dire au général Duchène :
- "C’est bien à Vous, Messieurs, que nous devons d’être ici et si j’ai jamais l’honneur de commander une expédition nouvelle, je ferai en sorte d’amener avec moi au moins un bataillon de Légion étrangère."
A suivre : « Un certain lieutenant Rollet »