Ces derniers jours notre ami Christian a beaucoup voyagé et parcouru les routes de France selon l’axe nord-sud avec quelques incursions transversales et auvergnates. Est-ce ce voyage qui lui a mis en tête cette réflexion de voyageur immobile ? Ses comparaisons sont osées, cocotiers des Tuamotu au fin fond du Pacifique sud avec des pins varois, maritimes certes, mais au feuillage et aux fruits si différents ; l’auberge du Bout du Monde et les antipodes planétaires, les sables de Zuydcoote qui me rappellent le "weekend" de Hemingway et les sables coraliens de Polynésie... saisissant raccourci mais que l’on peut comprendre aisément. Le miroir aquatique d’un puits est cela même, la réalité et son image inversée…
Une question demeure : aux antipodes du Bout du monde, les manteaux tombent-ils des porte-manteaux ? Ah, on ne porte pas de manteaux dans ces contrées-là! C’est la pub télé pour la super-glue qui en prend un coup avec le bonhomme collé par les pieds au plafond. Qui pourra y croire maintenant ? Et encore Christian ne nous a pas parlé de la force de Coriolis qui fait se vider les lavabos différemment selon l’hémisphère !
AM
Peinture à l'huile de PyC
Le monde à l’envers ou le bout du monde...
Je vais, exceptionnellement, faire un petit peu de publicité, introduction à une nouvelle qui me trotte dans la tête depuis quelque temps sous le titre curieux de "la force de Coriolis", cette force due à la rotation de la terre qui a pour effet de dévier tout objet en mouvement vers la droite dans l'hémispère Nord et à gauche dans le Sud...
Connaissez-vous le camping du “Bout du monde” à Verdun Lauragais situé au cœur de la montagne noire entre Carcassonne et Toulouse ?
Au temps de mon affectation à Castelnaudary, ce havre de paix nous accueillait dans son auberge gastronomique qui surplombe la plaine du Lauragais en face des Pyrénées ; un petit coin de liberté avec une ambiance authentique. Dépaysant.
Nous avions pris l’habitude de prendre nos repas de cohésion, gastronomie champêtre préparée par Martine - la maîtresse des lieux -dans une grande salle à la décoration campagnarde et chaleureuse, typique de la région mais sans conformisme, située en bordure du lac creusé et construit à la sueur de son front par Marc, ancien ténor, voire ténor dramatique, à la voix gutturale de l’opéra de Strasbourg. Cela se passait souvent le soir, et nous terminions par une promenade digestive au milieu de la ferme, parcours étoilé à souhait dans une belle campagne ; nous y goutions un plaisir simple au contact d’une nature exceptionnelle. Un vrai bol d’air.
Camping du “Bout du monde”, qui n’a pas rêvé un jour de tout abandonner pour partir au bout du monde? Chacun, cependant, a sa propre idée du bout du monde. Pour certains un port, d'autres un village perdu, ou bien un sanctuaire inaccessible, la fin d’un chemin ou encore l'Auberge de Martine et Marc Trinquel décrite ici sommairement.
C’est avant tout un lieu où l’on vient se perdre ou, au contraire, se retrouver. Est-il éloigné ou proche, magique ou ténébreux, réel ou imaginaire ? Est-ce un endroit où les rêves naissent ou celui où ils se fracassent ?
C’est dans cet endroit du Lauragais, quand le temps me le permettait, que je venais en solitaire me dépouiller de l’inutile de l’existence. Je me perdais dans la campagne. Je venais recharger mes batteries vidées par une vie de servitude dans ce coin du bout du monde, parfois accompagné d’un ami. Nous refaisions le monde; nous comprenions au bout du parcours que la terre était ronde et que le lieu le plus éloigné que l’homme puisse atteindre était l’endroit où il se trouvait. Nous convenions, après réflexions, que là où nous étions, était le bout du monde. Voyager dès lors n’était plus partir pour les extrêmes, c’était tout simplement être là.
Pendant mon séjour en Polynésie française, à l’antipode du réel, laissant planer mon imagination, je regardais le sol sous mes pieds et me disais qu’à des milliers de kilomètres, en ligne droite se trouvaient ma famille, mes proches ; mon imagination se débridait. J’étais, à Papeete, ce voyageur trop vite arrivé qui se faisait une idée de ce qu’est l’antipode de la position de ce personnage de pierre taillée à la façade latérale de la cathédrale de Sens, la tête en bas et les pieds vers le haut. Ce n’était pas un voyage, seulement l’envers, l’image inversée d’un miroir. N’est-il point vrai que quand on oublie que l’on marche à l’envers, c’est qu’on est arrivé ? On est au bout du monde quand on n’y pense plus. Marc Trinquel l’aubergiste du “Bout du monde” rêvait de se retirer en Polynésie, sortir de l’hypocrisie et de la médiocrité qu’il rencontrait sans cesse. Mais son projet n’aboutit pas, il comprit à temps que ce coin de terre, ce bout du monde au milieu de la mer n’était plus un pays éloigné, on retrouvait à Papeete l’animation d’une petite ville de province française; la Polynésie fait partie de l’Europe avec ses députés qui siègent à Strasbourg
A mille deux cents kilomètres de là, dans le sud profond et à l'écart de toute route maritime ou aérienne, à Mururoa, je vivais dans le bleu. Il n’y a pas de sol. On n’a pas les pieds sur terre. Ce bout du monde se présente en trois déclinaisons de bleu: le bleu cobalt dominant, le bleu outremer pour l’horizon et enfin le bleu ciel, adouci par les éternels nuages qui sans cesse planaient au-dessus de nos têtes, avant de devenir bleu nuit.
C’est là, sur l’atoll de Mururoa, que s’est produit un curieux effet, mêlant imagination et réalité. Au bord du lagon, sur la rive opposée de la ceinture de corail où je me trouvais, une cocoteraie allongée sur la ligne d’horizon attira mon attention. L’îlot semblait planer tel l’oiseau migrateur habitant moins une terre que le ciel et la mer. J’y voyait les pins maritimes de la côte varoise, je comparais cette lumière polynésienne à celle que je trouvais à Dunkerque, celle de mon enfance dans les dunes de Zuydcoote. Pulpeuse, moelleuse, intense, tendre et dorée, cette lumière caressait les choses. Paysages qui se retrouvent eux aussi aux antipodes l’un de l’autre, ils sont à la fois proches et le plus éloignés qu’il est possible sur cette planète. J’étais comme penché sur un puits où j’apercevais, dans son cercle liquide, l’autre côté des choses. Un physicien discutait sur les antipodes, il fit lever son interlocuteur et le conduisit à un puits : “Est-ce par là ce que tu appelles les antipodes ?”. C’est soi-même que l’on aperçoit à l’autre extrémité du puits. Le voyage s’annule ou coïncide. S’il est ainsi confirmé que les moissons, les arbres et les animaux croissent la tête en bas, que les habitants de l’autre hémisphère ont les pieds plus hauts que la tête, la conclusion revient à cette femme iranienne, habitante du désert dans un petit hameau et à qui on demandait: “ si elle avait déjà voyagé dans sa vie ou si tel était son souhait.” La réponse était impressionnante de sagesse et marqua à jamais mon esprit: “Pourquoi donc faudrait-il que je voyage puisque je suis arrivée ?”.
CM