Je me pose une question simple: “Comment mon Ami en arrive t-il à fréquenter “la soupe populaire”, me cacherait-il quelque chose que je ne devrais pas savoir? Ou plus vraisemblable, cette organisme de solidarité publique se trouverait-il sur son chemin quand il fait ses courses au supermarché du coin ?

Dans le texte qui suit, il est particulièrement émouvant de voir un quinquagénaire hurler: “Je veux être Grec tout de suite”, ceci pour voir une part de ses dettes effacées… encore faut-il qu’il en ait eu les moyens d’en faire et que les intérêts déjà payés puissent représenter une somme qui lui permettrait d’éviter la soupe populaire…

Camus en son temps, aussi par provocation, expliquait que sa pensée était une pensée grecque au point, disait-il: “je me sentais grec dans un monde chrétien”. Mais là est une toute autre motivation.

Par contre, si le mécano perso de notre Antoine, référence philosophique s’il en est… dit: “Malgré les Allemands, soyons tous Grecs”, la réflexion s’impose et en particulier sur cette crise en Europe qu'on appelle communément: "crise de la dette". Nous savons, hélas, que le marché, envers et contre la situation imposée par coronavirus interposé, une nouvelle fois, dictera sa loi dans tous les domaines de la société. La Grèce en est devenue le laboratoire ?

CM

Avec  exagération, pour le moment…

Je ne sais pas comment, mais ils le font !...  Je sors, les restaurants ont peu de places libres, les centres commerciaux débordent de chalands qui, peu ou prou achètent quelque chose, les centres commerciaux « outlet » voient leurs magasins de marques célèbres très fréquentés surtout le week-end… Bien sûr,  nous sommes dans la période où beaucoup d’émigrants séjournent ici en vacances, mais tout de même…

Hélas par ailleurs, on remarque d’évidents signes de mal-être, de honte ou seulement d’abandon. La main qui cache le visage, le menton qui descend vers la poitrine, des regards furtifs et un lourd silence monacal, entrecoupé par le tintement de  cuillères sur des assiettes en allu. La Dernière Cène en chromo vieilli sur le mur jaunâtre aide à composer l’inimaginable, il y a peu,  tableau vieux-réaliste.

Près de la porte, sur de beaux et très anciens carreaux de faïence blanc-bleu, des lettres gothiques annoncent : « Soupe populaire » !

Un couple d’âge moyen est attablé, deux hommes sont assis à une autre table ; dans un coin, seul, un vieux ; une femme tremblante à un autre coin. Pur préjugé, mais  il y a quelque chose qui cloche, qui sonne faux – chaussures propres, hommes rasés, coiffés, légère odeur d’eau de Cologne.  Dans un quelconque restaurant de cette petite ville littorale, ils passeraient pour de simples citoyens, normaux, habitués à manger à l’extérieur.

Près d’une fenêtre, un quinquagénaire en élégante veste de cuir regarde les étrangers, cou tendu et main levée en salut. Il force le contact : « Je veux être Grec, tout de suite ! ». La préposée à la cuisine me fait un clin d’œil et porte son index pivotant à la tempe droite. Elle précise mezzo voce, qu’il s’agit d’un  homme de bien et même de biens, mais un peu maboule. Gérant d’un grand magasin, il a été brutalement poussé vers la porte et le chômage. Sa femme, associée dans une petite entreprise, a vu les dettes lui fermer la porte au nez. Deux fils, adolescents, ont compris, brutalement aussi, que l’argent ne tombe pas du ciel pas plus qu’il ne pousse sur les arbres. Tous ont survécu, ou plutôt vivoté, dans leur maison aux innombrables  pièces, affligés, entre autres, par les factures d’eau et d’électricité à payer. Hésitant, l’homme s’explique : « J’ai toujours voulu avoir une maison ! Le gérant de la banque m’a presque mis de force l’argent dans la poche et l’entrepreneur m’a convaincu de choisir un « palais » ! ».

C’est arrivé à des personnes bien plus avisées. Jusqu’en juin l’ex-employé a supporté les versements pour payer le crédit, mais a fini avec son épouse ces jours derniers à la Soupe Populaire, de plein droit et par nécessité.

« Je veux être Grec ! ». Répète-t-il. Mais pourquoi ?

« Comme ça la banque devra effacer une part importante de ma dette et me rendre une partie des intérêts déjà payés… »

Avec une certaine logique il me rappelle les cent milliards que les créanciers de la Grèce ont été contraints de lui abandonner, tout comme les banques centrales ont dû rembourser à Athènes une part des bénéfices faits sur le dos de la dette hellène.

Je lui rétorque qu’il n’y est plus du tout. Cela est déjà de l’histoire ancienne et comme ils disent ici « les eaux passées ne meuvent pas la roue du moulin »…

Mon ami le mécano a déjà fait siens les désirs de l’homme : « Malgré les Allemands, soyons tous des Grecs ».

Mais je crains qu’avant d’être Grecs même la Soupe Populaire aura fermé ses portes.

AM