Mon jeune Camarade,

Lors de la journée consacrée au souvenir des Morts pour la France en Champagne, j’ai bien apprécié les quelques moments que nous avons passés ensemble, mais la brièveté de notre rencontre me laisse frustré de ne pas avoir eu le temps d’une conversation plus suivie.

C’est pourquoi, je t’adresse cette lettre comme un message en l’air en espérant une bonne réception de ta part.

Pour continuer notre discussion entamée ce jour-là, je souhaiterais te dire que le mouvement des anciens combattants et des anciens légionnaires est incontestablement un mouvement de masse. Rien n'est simple, nous avons nos dissidents qui ne "roulent" que pour eux-même... Mais qui, notre communauté, touche t-elle aujourd’hui dans la nation ? Venir se souvenir ici sur place en pleine campagne aux étendues désertiques, en mémoire des légionnaires et soldats tombés il y a cent ans est pour nous, président Fédéral en tête, un devoir de mémoire.

Dans la France métropolitaine, il y a eu un peu moins de huit millions de soldats (7 893 000). Près d’un million et demi n’ont pas survécu à la grande Guerre (1 457 340), les uns tués au feu ou morts dans les hôpitaux de la zone des armées, les autres dans les hôpitaux de l’intérieur.

Pour moi, la Grande Guerre fut vraiment la lutte de l’intelligence contre la brutalité, de la liberté contre la domination. Elle fut aussi la  de la démocratie contre l’impérialisme, lutte des peuples qui sont capables de vivre pour des idées contre ceux qui ne vivaient que pour leur ventre. Il y a une morale des nations comme il y a une morale des hommes, il y a la morale qui n’est pas seulement le respect de l’homme, mais le respect de la pensée, de l’intelligence. Nos légionnaires qui reposent en ces lieux ont appris avant de mourir que la mort rend plus sages et meilleurs ceux qui l’approchent. Plus sages parce que l’homme en sa présence se sent tout petit et cherche toujours un appui nécessaire pour ne pas être attiré par l’abîme qu’il découvre. Meilleurs, car en sa présence, il constate combien est stérile la haine qui sépare les hommes.

Vois-tu, mon jeune camarade, notre Fédération est un amalgame d’hommes très différents par la pensée, la condition sociale, les croyances et les idées ; ils ont été forgés dans le creuset de la Légion et se sont dotés d’un esprit nouveau. C’est cet esprit qui est la base de notre "esprit Anciens légionnaires".

Nous, Anciens légionnaires, nous conservons le droit d’aimer la Légion et de l’exprimer par notre adhésion aux Amicales qui la représentent. Nous le lui devons pour tout ce que nous en avons reçu.

Trop de nos camarades Anciens légionnaires préfèrent rester en dehors de notre mouvement associatif et n’adhérent pas à une amicale pour mille et une raisons de différents ordres: militaire, géographique, social, personnel ou autre…

En communion de pensée avec vous, nos jeunes, nous nous faisions un devoir de ne pas oublier le sacrifice de ceux qui sont morts.

J’ai le souvenir des propos d’un de mes vénérables anciens qui, comme je le fais aujourd’hui avec toi, m’expliquait inlassablement l’horreur de la guerre et, cependant, l’évoquait parfois ou la racontait avec un crieux attendrissement. Il avait dû trop prendre sur lui-même. Il affirmait que la guerre était, certes, un ignoble massacre, mais qu’il s’y était montré digne d’estime. Les Anciens légionnaires présents à ces cérémonies du souvenir refusent de rayer de leur mémoire une expérience qu’ils n’ont pourtant pas cherchée, mais qui a compté pour eux et dont ils n’ont pas lieu de rougir. On dit que les morts ne sont réellement morts que lorsqu’ils sortent de la tête des vivants, nous ne les oublions pas et nous te passons le relais du souvenir.

Heureux de t’avoir rencontré et d’avoir fait en ta compagnie un bout de chemin sur la route de la fraternité légionnaire.

Amitié légionnaire.

Ancien légionnaire CM, matricule 142 872