Rencontrer Salim Bouali est un parcours du combattant. Nous avons rendez-vous à une station de métro de Marseille et nous sommes partis pour une destination inconnue. En quelques stations, nous avons parcouru le monde, la Légion étrangère, la Bible, les cités, etc. Notre trajet aboutit dans les salons de l’hôtel du département, où les institutionnels reçoivent solennellement l’engagement des jeunes recrues de l’armée française. À son arrivée, l’officier qui préside la cérémonie interrompt son discours et salue respectueusement le sergent-chef Bouali. Qui est-il, cet ancien légionnaire, prédicateur itinérant de l’Église apostolique, médiateur de quartier, décoré de la Légion d’honneur en 2019 ?

Visage buriné, la coupe de cheveux de quartier, une carrure qui rassure, l’homme engage tout de suite la discussion dans un tutoiement chaleureux, mêlant sans rupture, souvent elliptique, son vécu et les citations bibliques. Il a surtout un regard franc, direct, empathique, qui ne supporte pas la fuite.

Il est né en France de parents algériens ; son père était chef d’équipe à Besançon, dans la chimie, sa mère faisait des ménages. Il a huit ans quand, pendant des vacances au bled, ses deux parents meurent dans un accident de voiture. Il intègre un orphelinat à Colmar: “S’appeler Salim ferme souvent les portes”, constate-il. Il passe son enfance et son adolescence dans cette solitude, sans suivre l’école. Puis, un jour de hasard, à 17 ans, dans un bar d’étudiants, il entend un gars sportif, sympathique, qui parle de ses voyages. Lui a cette envie de partir, de changer.

En fait, il s’agit d’un légionnaire et Salim va le suivre de Colmar à Strasbourg pour signer sans hésiter son entrée dans la Légion étrangère. Un engagement qu’il vit comme la révélation d’une vie nouvelle. “Je ne me suis plus retourné, j’avais perdu mes parents, j’étais à la rue, j’ai trouvé ma famille.” Loin des idées reçues, il y découvre la fraternité avec les 10 000 hommes engagés, traités à égalité, qui représentent quelque 150 nationalités. Il change de nom, oublie son patronyme, devient Serge et trouve des “frères d’armes”. “J’avais enfin, dit-il, la possibilité d’être reconnu, non pour ce que j’étais, mais pour ce que j’étais capable de faire. C’est l’école type pour notre jeunesse, on apprend à vivre à deux, à dix, à cinquante et à cent, on apprend à partager, à se surpasser, à nous organiser, on est éduqué dans la politesse et le respect. Tout le monde à sa chance: le plus faible moralement, intellectuellement, psychiquement, physiquement, on lui tend la main. Le gradé qui commande connaît ton chemin. Il y a des journalistes, des médecins, des tueurs à gages, des clochards, tout le monde est pareil.” Salim Bouali choisit le régiment parachutiste d’élite à Calvi, passe toutes les épreuves de plongée, d’escalade, de parachutisme: “Je suis arrivé premier ; tu n’as pas le temps de te plaindre, penser c’est commencer à désobéir, il faut être, et durer, ton frère d’armes est ton frère d’armes!”

Durant ses dix-huit années de Légion, il s’ouvre à la foi: “J’ai eu des petits cailloux jusqu’à rencontrer le rocher.” Musulman d’origine, il a suivi l’école coranique du village ; il échange à présent avec l’aumônier catholique. Il découvre la prière du parachutiste : “Je m’adresse à vous, mon Dieu, car vous donnez ce qu’on ne peut obtenir que de soi. (…) Donnez-moi ce dont les autres ne veulent pas, mais donnez-moi aussi le courage, et la force et la foi. Car vous êtes seul à donner ce qu’on ne peut obtenir que de soi.” Il croise un jeune caporal chrétien – “on boxait ensemble” – qui “le prend en otage dans la prière”. Il sort indemne d’un accident d’hélicoptère et en attribue ce miracle à Dieu en citant le psaume 34: “Quand le malheureux crie, le Seigneur l’entend.”

Légion d’honneur

Il organise des activités pour les enfants, mais on se méfie, la police vient rôder, se renseigner. Un coup de fil au général de la Légion finit toujours par apporter la garantie de moralité de ce “grand frère”. Il organise des séjours avec des groupes de jeunes au sein de la Légion étrangère à Calvi. En 2014, il organise un stage commando dans la forêt guyanaise pour remettre dans le droit chemin des jeunes qui ont basculé dans la petite délinquance. Il crée l’association En action pour les nations (EAPN) qui œuvre à Marseille dans les domaines de la prévention de la délinquance et de la sensibilisation à la citoyenneté. Il organise des vacances citoyennes pour des jeunes avec l’association Familles en action.

Il fonde le Centre d’instruction civique pour proposer aux jeunes un accompagnement adapté et complet en vue de leur insertion dans la vie professionnelle. Remarqué par les services de l’État, il est décoré de la Légion d’honneur. La prestigieuse décoration lui est décernée en préfecture, devant un parterre d’anciens légionnaires, de policiers, mais aussi de mamans de jeunes pris en charge par son association. Un cancer de la prostate et une prothèse du genou vont ralentir ses actions civiques. Mais il garde confiance: Le docteur soigne, Dieu guérit, dit Salim Bouali.

Aujourd’hui hospitalisé à l’hôpital militaire de Laveran pour un cancer du foie, Salim tient le choc et salue toujours d’un fraternel et chaleureux Tchao commando !.