Recours en dernier ressort à Zimba:
"Au cours d'une cérémonie officielle présidée le 05 juillet 1986 par le colonel G., j'ai rendu le commandement de la 3ème Cie du 2ème REP au camp de Bouar en Centrafrique. Le capitaine H. est mon successeur. Le colonel G. me confie alors la mise sur pied d'un stage amphibie d'un mois au profit de 42 militaires centrafricains de la garde présidentielle (GP).
Le stage aura d'abord lieu pendant une semaine sur l'ile Bongo Soua, située sur l'Oubangui, en face de Bangui puis ensuite pendant trois semaines au camp de Zimba, à quelque 25 km en aval de la capitale Bangui. L'ile de Bongo Soua est entourée par l'Oubangui, fleuve frontière entre le Sud de la RCA (république de Centre Afrique) et les rives Nord du Zaïre (devenu république démocratique du Congo depuis 1997). Tout se passe bien ! Les stagiaires de la GP sont des bosseurs. Ils veulent tous réussir leur stage … il y a en effet une prime à la clé.
Nous sommes arrivés au camp de Zimba depuis une bonne semaine quand un soir deux femmes se présentent à notre entrée. Une mère âgée et sa fille portant un couffin dans lequel repose sa fillette de 2,5 ans. Trois générations. Je demande à un stagiaire de nous traduire leurs paroles que nous ne comprennons pas. Je fais aussi venir l'infirmier français qui fait partie de l'équipe d'encadrement.
De la discussion, il ressort que la fillette, très calme dans son couffin, vomit en fait du sang depuis une quinzaine de jours. Les deux femmes qui ont déjà consulté des personnes centrafricaines, viennent en fait nous voir en dernier recours. Elles sont très inquiètes et s'en remettent à nous.
Je demande à l'infirmier de prendre note des symptômes puis de partir à 03h00 du matin en pirogue à moteur pour relier le « camp Béal » français à Bangui où il ira voir le médecin militaire pour convenir des médicaments à donner à la fillette. Les deux femmes repartent. A 03h00 du matin, j'entends démarrer le moteur de la pirogue.
Le lendemain matin de la visite des deux femmes, je rencontre l'ex-sous-préfet qui était venu nous voir pour obtenir des piles pour sa radio. Il est à peine 07h00 du matin. Je lui demande des nouvelles de la fillette. Il me répond qu'elle est morte dans la nuit. Triste nouvelle ! L'infirmier revient dans la matinée. Il avait rempli sa mission conscienseusement. Je l'informe du décès.
Je demande au sous-préfet quand est-ce que les obsèques auront lieu. Il me répond qu'il n'y aura pas d'obsèques et qu'elle ne sera pas enterrée au cimetière du fait qu'elle n'a pas encore l'âge de raison. Que va-t-elle devenir alors ? Elle sera veillée puis inhumée dans un trou vertical derrière la case de ses parents.
Je me rends ensuite dans la case et assiste quelques instants à la veillée de la fillette, reposant comme le petit Jésus dans la crêche. Elle est bien habillée, la tête dans un bonnet de laine et semble dormir apaisée. La mère, en signe de deuil, s'est rasée les cheveux. Les femmes la veillent. Je sors en silence. Le lendemain, je passerai à pied derrière la case et verrai la terre remuée au pied du mur.
La mortalité infantile en RCA est importante. Les parents, dont l'espérance de vie n'est que de 45 ans, donnent à boire l'eau trouble de l'Oubangui à leurs enfants en bas âge. Ainsi, seuls 2 enfants sur 5 atteignent l'âge de 5 ans ! Les abattoirs de Bangui polluent l'Oubangui en amont de Zimba.
Le stage amphibie s'est poursuivi comme prévu. Deux stagiaires baisseront les bras et n'obtiendront pas leur qualification et donc pas leur prime. Il y aura au final 40 reçus sur 42 stagiaires. Mission accomplie ! Mon grand regret sera de ne pas avoir pu enregistrer les militaires de la GP chanter en canon au pas cadencé. Leurs voix d'hommes sont parmi les plus belles que j'ai pu entendre dans ma vie. Le général KOLINGBA, président de la RCA, me décernera un témoignage de satisfaction.
PG