Presque brut de fonderie cette lettre. Une missive adressée par un personnage qui parvient enfin, après quelques difficultés à donner un sens à sa vie de retraité oisive et désemparée. Tout un programme qui met en valeur un puissant sentiment d’utilité,  un exemple de solidarité active de tous ces fidèles visiteurs de nos malades : Peter, Marie, Guillemette, Marcel, François et bien d’autres pour le fraternel  soutien de ceux qui n’ont plus rien et surtout pas la santé… Une vraie leçon, qu’appliquent également à leur niveau  beaucoup de nos Amicales, il ne suffit pas toujours de dire que le social c'est avant tout de l'argent, c’est bien entendu important, mais heureusement, il y a aussi l’action généreuse de ces bénévoles qui ne pensent pas qu’à leur petite personne et qui construisent à leur modeste manière un monde meilleur.

Petit clin d'oeil à tous ces visiteurs des plus faibles d’entre nous, à ceux qui visitent un malade ou une personne âgée isolée pour l’écouter et le distraire, lui donne le sentiment d’exister encore pour quelqu’un !

"Cher Ami, cher Camarade,

Il est une mode indémodable, celle qui peut être considérée comme moderne et éternelle à la fois : avoir des problèmes et  se retrouver quelque peu blasé de sa propre existence et... l’âge venant !

Pour accentuer encore ce mal-être, pollution parmi les pollutions, nous sommes envahis du bruit des autres, de leurs vociférations hystériques, des cris vulgaires en tout genre. C’est un horrible brouhaha. Même un musicien ne trouverait pas dans cette énorme cacophonie, la moindre note harmonieuse.

Cette forme de pollution était mon lot quotidien après mon service légionnaire. Rapidement, c’était devenu une obsession, il me fallait trouver une atmosphère sonore plus convenable. Il m’était indispensable de trouver une parade, même si je possédais « l’atout » du  handicap professionnel de tout ancien militaire, celui de se retrouver plongé dans le monde fermé des sourds chroniques, conséquence  de séances de tir, à mon époque,  sans protections auriculaires.

Je m’étais isolé, retranché  dans une bulle insonore, et lorsqu’il m’arrivait de mettre mon nez dehors, je m’affublais, enfin, mieux vaut tard que jamais, du casque anti-bruit, en fait, j'écoutais la radio.

Dans mes lectures de jeunesse, j’avais appris que la terre était ronde, que le monde qui m’entourait avait la dimension d’un tout petit atome dans un univers sans limite et dans lequel je n’étais même pas une poussière...  De quoi m’indisposer dans une sorte de vertige permanent. Ma dimension humaine me faisait peur, asphyxié par un trop plein de rien du tout qui avait cependant un nom, "temps libre". Je pris l’option de me laisser vivre, oisiveté soutenue par une “rente” d’ancien légionnaire, qu’alimentait régulièrement une dette dite publique me concernant. Enivré de désœuvrement, de paresse - ces ignobles sources de vices - j’affectais prétentieusement d’aimer ce genre de vie, et d’être parfaitement bien dans ma peau, je fréquentais des camarades de rencontre de dernière route au grand désespoir de mon organe hépatique, petite chose très fragile qui me faisait souffrir par crises aigües, et m’alertait ainsi sur mon précaire état de santé, signe de vie raccourcie, forme patiente d'un néanmoins suicide assuré .

A l’amicale d’anciens légionnaires que je fréquente depuis peu, j’ai la chance de rencontrer des amis, anciens légionnaires comme moi. Certainement,  lors de nos parcours réciproques, nous sommes nous  déjà croisés. J’ai plus, dans ma tête, la mémoire des visages que celle des noms. Grâce à eux, je laissais enfin mon foie vivre tranquillement sa  retraite.  Depuis, je vis en   accord harmonieux avec mes  derniers compagnons de route, et la partition qui se joue dans l’air du temps, est une mélodie fantastique, un véritable petit bonheur, alimenté par le partage et les échanges d’hommes de bonne volonté. C’est un tempo magique d’un enrichissement mutuel partagé. Depuis, je me rends utile, je visite les malades dans les hôpitaux, c’est pour moi un sentiment indescriptible, surtout que je me suis pris d’amitié pour ceux que je visite. Voilà donc ma nouvelle vie, je suis guéri du bruit des autres, ma vie reprend des couleurs, j’existe encore pour quelqu'un, celui qui a besoin de mes visites régulières pour lui faire oublier sa misérable condition humaine.

Les malheurs et difficultés construisent notre existence, je donne ce que, peut être, plus tard je recevrais en retour, qui sait ?

Amitié légionnaire.

Hans."

 

CM