Après l'article concernant l'obligation de mémoire de la Famille de l'adjudant-chef Léon Arvin et l'absence d'écriture sur son véçu à la Légion; cet article: "Vocation enfantine" permet de comprendre cet "appel à témoin...".
Très peu de témoignages nous parviennent malgré les nombreuses sollicitations et « appels à témoins » faits auprès de ces mémoires vivantes que sont nos anciens légionnaires. Le constat est sans équivoque : timorés, craignant le qu’en dira-t-on d’une sorte de mise en avant de soi, ou ce que l’on pourrait penser du style de leur écriture, les anciens se défaussent et rarissimes sont les témoignages qui nous parviennent, alors que ces vieux soldats peuvent être si prolixes lors de retrouvailles traditionnelles comme à Camerone, aux fêtes « légionnairement » carillonnées : saint Georges, saint Michel, sainte Barbe, etc.
C’est pourquoi, histoire “d’amorcer la pompe” à nouveau, ce témoignage pourrait et devrait servir d’exemple, d’incitateur et inspirer nos anciens à se lancer dans l’aventure de l’écriture. Ils ont beaucoup de choses passionnantes à nous faire partager de leur vécu légionnaire.
Vocation enfantine:
“Jeune garçon, chaque année le 14 juillet, je me trouvais avec mon père devant le petit écran pour voir défiler notre armée.
De ce rendez-vous annuel, j’ai gardé, caché au fond de ma mémoire, l’image vivace de cette splendide avenue où la musique de la garde républicaine entrainait, de tous ses cuivres et batteries, les écoles militaires, les fantassins, les chasseurs, l’infanterie coloniale et, une fois leur passage effectué, un grand vide impressionnant s’installait, un silence auguste envahissait l’atmosphère… Alors, dans les années avec, car il y avait des années sans, se faisaient entendre au loin les notes bien scandées du fameux refrain de la Légion: “Le boudin”. A ce moment tout le monde relevait la tête et regardait vers « l’Arche immense ». C’était la Légion qui arrivait. Elle était là, majestueuse dans sa cadence, impeccable dans son port, imperturbable dans son allure. D’abord les sapeurs-pionniers, barbus habillés de fauve, portant à l’épaule une hache de bûcheron, précédaient le prestigieux tambour-major qui lançait vers les hauteurs la canne symbole de sa fonction et donnait la cadence devant la musique rugissante ; les tambours battaient d’une façon vive, juste et si dextre que les baguettes semblaient disparaître dans la rapidité des mouvements, les clairons faisaient virevolter leurs instruments renvoyant, avec les hélicons, des reflets de soleil cuivrés, le cri aigu des fifres semblait vouloir percer jusqu’au ciel. Un légionnaire portait un instrument à clochettes, orné de queues de cheval qui, étrangement, semblait ne produire aucun son, mais comme c’était beau. La musique de la Légion, forte d’une centaine d’exécutants avançait tranquille et sereine derrière ses chefs, la grosse caisse et les soubassophones donnant la cadence, assurant le rythme. Venait ensuite, chamarré d’or et aux plis couverts de gloire, le drapeau. Emblème chargé d’inscriptions, de rubans de décorations, de fourragères, il devançait avec sa garde austère les compagnies qui défilaient dans un alignement parfait. Les légionnaires coiffés du képi blanc avançaient au pas Légion, ce pas lent qui donne le sentiment que rien ne peut arrêter la masse qui s’avance. Ils avaient fière allure ces hommes aux visages impénétrables portant des épaulettes vertes à franges rouges, la taille prise dans leurs ceintures de flanelle bleue. Dans les tribunes personne ne bougeait. Je ne perdais pas une miette de l’événement, je voulais moi aussi “faire légionnaire”; alors, immuablement, une grande émotion me submergeait quand, brusquement, fusait de toutes parts une énorme acclamation. Une grande clameur s’élevait de la foule, les gens criaient: “Vive la Légion”.
Plus tard, j’apprenais que cette troupe magnifique avait laissé partout, sur tous les continents, des tombes où reposaient les siens. Je découvrais aussi, enchanté, qu’il y avait des poètes, Alan Seeger, Pascal Bonetti, Arthur Nicolet et bien d’autres dont le capitaine de Borelli qui, au Tonkin en 1855, composa un magnifique poème à la mémoire des hommes de sa compagnie.
Une véritable institution qui avait son magazine Képi Blanc, ses « Invalides » où elle héberge les siens qu’elle n’abandonne jamais, ses œuvres, ses chants, son folklore intime, son musée, ses peintures, ses musiciens, ses artistes. Son œuvre est immense.
Mais avant tout cela, elle a ses héros, qui furent de tous les coups durs, toujours présents sur les champs de bataille lorsque se livrait un combat sans merci et qui sont morts pour les causes les plus nobles et les plus belles. Pour la France ils ont versé leur sang, sacrifié leurs vies.
Enfin, j’ai découvert le monument aux morts de cette troupe à nulle autre pareille. Dans le culte du souvenir, au cœur de la maison-mère, quatre légionnaires de bronze montent la garde autour d’un globe terrestre: “La Légion à ses morts”. Je ne peux que m’incliner devant ces généreux étrangers qui sont morts pour un pays qui n’était pas le leur, mais qui représentait à leurs yeux, une terre de liberté.
Comment donc aurai-je pu ne pas être des leurs, ne pas être ce légionnaire que je suis fier d’avoir été et d’être encore à travers mon amicale ? Je suis devenu, moi aussi, de ceux (trop bien dressés par la désillusion et la souffrance pour ne pas avoir fait de leur vie un accessoire qu’on donne pour rien), qui ont construit leur vie de légionnaire autour de l'honneur et de la fidélité…)».
CM