“À la naissance, on monte dans le train et on rencontre nos parents.Et on

croit qu’ils voyageront toujours avec nous. Pourtant, à une station,

nos parents descendront du train, nous laissant seuls

continuer le voyage… Au fur et à mesure que

le temps passe, d’autres

personnes

montent dans le train.

Et elles seront importantes :

notre fratrie, nos amis, nos enfants,

même  l’amour  de  notre  vie.  Beaucoup

démissionneront (même éventuellement l’amour

de notre vie), et laisseront un vide plus ou moins grand.

D’autres seront si discrets qu’on ne réalisera pas qu’ils ont quitté

leurs sièges. Ce voyage en train sera plein de joies, de peines, d’attentes,

de bonjours,  d’aurevoirs et d’adieux. Le succès est d’avoir de bonnes relations

avec tous les passagers pourvu qu’on donne le meilleur de nous-mêmes.

On ne sait pas à quelle station nous descendrons, donc vivons

heureux, aimons et pardonnons. Il est important de le faire

car lorsque nous descendrons du train, nous ne

devrons laisser que de beaux souvenirs

à ceux qui continueront leur

voyage.

Soyons heureux

avec ce que nous avons et

remercions le ciel de ce voyage fantastique.

Aussi, merci d’être un des passagers de mon train.

Et  si je dois descendre à la prochaine  station, je suis content

d’avoir  fait un bout  de chemin  avec vous. Je veux dire à chaque personne

qui lira ce texte que je vous remercie d’être dans ma vie et de voyager dans mon train.”

Jean d'Ormesson

Suivi de Créatures d'habitudes:

Nous sommes des créatures d’habitudes et nous vivons dans des mondes restreints. A moins d’être saisis d’un malaise ou que quelque chose ne vienne nous perturber, nous avons tendance à conserver les choses en l’état. Tel était ma réflexion avant mon engagement à la Légion étrangère.
Ces modes de vie ne me convenaient pas, je ne supportais pas ces routines, ces habitudes de pensée et de comportement qui nous poussent à faire continuellement les mêmes choses de la même façon. Nos habitudes ne sont pas seulement inscrites en nous, nous nous entourons de gens qui nous ressemblent comme autant de miroirs. Pour moi, c’est avec cette prise de conscience que le voyage commence…
Il me fallait quelque chose qui devait interrompre ma vie routinière. Dans les premiers temps de mon engagement, débutent les premiers gestes si difficiles de l’adaptation, il s’agissait de m’accoutumer à une nouvelle façon de vivre, ces moments de transition étaient masqués par l’excitation qu’accompagnaient mes efforts à m’intégrer dans un milieu hostile. J’avais la curieuse impression de nager à contre courant…


Cependant, petit à petit, j’entrevoyais un avenir qui n’était pas une simple continuation du présent et si cette vision avait suffisamment d’attrait pour moi, le désir intervenait, j’avais envi que les choses soient autres qu’elles ne l’étaient jusqu’alors… J’avais en tête d’avoir fait un choix pour un acte d’engagement bien volontaire, quelque chose était passé du potentiel au réel.
Je voyais que ma route s’allongeait devant moi, perpective à la fois excitante et décourageante, pourvu que je ne flanche pas… J’avais conscience que certains s’en sortaient admirablement et d’autres pas du tout.
Je me souviens en particulier de ces interminables ballades faites dans l’arboretum qui jouxte le quartier capitaine Danjou à Castelnaudary en compagnie du colonel Dominique Mariotti. Cet homme de grande culture m’expliquait lors d’une de nos promenades que le choix des chemins qui doivent être fait devrait être guidé par le vote de nos pieds… il faut savoir attendre, disait-il, qu’une ligne d’herbe piétinée se dessine sur la pelouse, à l’usage, cette ligne devient plus marquée perdant sa couleur verte. Ce solide sentier était ainsi inscrit par le désir et la nécessité, une façon de résoudre la question d’accès par le désir qui ne suivait pas toujours la route imposée. La piste se gravait dans le paysage, personne ne l’avait planifiée, le désir de la masse s’était exprimé, dans le parc, le sentier était un geste anarchique. Mariotti m’expliquait que les américains procédaient ainsi quand ils construisaient des bâtiments éparpillés sur une grande superficie, au lieu de prévoir les cheminements des usagers, semaient de la pelouse sur la totalité du terrain sans dessiner des allées. L’année suivante, les sentiers naturels étaient apparents, alors seulement ils posaient les pavés des chemins. Une manière originale sans doute proche de la façon dont le monde s’est construit dans une étrange entente entre le désir humain naturel et les forces chargées de contrôler. Je me suis toujours souvenu de cette leçon de sagesse essayant de l’appliquer dans ma manière de vivre le quotidien.
J’ai en mémoire aussi, cet arbre au domaine des Invalides de la Légion étrangère à Puyloubier qui était planté sur un énorme rocher, socle d’humilité et de simplicité. Pourtant, on ne voyait que l’arbre alors que le support restait invisible.
Il fut un temps où le rocher était présent et petit à petit, il disparaissait de la vue des visiteurs qui finissaient par ne voir que l’arbre. Les parents le savent, comme quiconque a regardé un enfant grandir. Chaque version de lui éclipse la précédente, l’enfant de cinq ans obscurcit l’enfant de quatre ans, l’adolescent efface le bébé, tout en préservant une essence qu’il nous semble voir se déployer et mûrir sous nos yeux, je faisais le rapprochement avec les différentes phases de la vie du légionnaire qui évoluait dans une carrière toute traçée mais qui restait sous contrôle et hors piste officielle puisque dépendante d’un choix personnel.
Faire sans cesse la même chose, cela finit par créer un chemin à partir de forces impersonnelles, un moi commence à se former. En apprenant à marcher, à voir et à parler, nous sommes une énorme collection de sentiers et de routines qui s’embriquent, battu par la répétition; nous sommes chacun un paysage modelé par des motifs récurrents de forces informées et orientées par le désir.
CM