« Insignifiant »
Selon certains, aucun grain de sable ne serait insignifiant. Si cela est vrai, peut-être serait-il grandement temps de changer notre façon de vivre, de percevoir et d’interagir avec ce monde qui nous entoure. D’autres ont la faiblesse de croire, que nous ne sommes que des pions insignifiants d’un jeu qui n’aurait aucune règle, où une perpétuelle tricherie serait de mise, où les plus faibles, les plus malchanceux, les vrais guignards, les champions toutes catégories de la scoumoune n’auraient aucune échappatoire. Mais seulement l’absolue nécessité d’être beau joueur, de faire bonne mine à mauvais jeu, et surtout, ils auraient l’obligation, toujours et encore, de rester dans le jeu jusqu’à la fin.
Il y aurait donc les insignifiants et ceux qui ne le sont pas, dans ce grand jeu de massacre, où les humbles, les modestes, les falots ne compteraient pas. La valeur de leur vie ne tenant qu’au numéro qu’il leur aurait été attribué et à la classe sociale dans laquelle ils seraient tombés de Charybde en Scylla. Interchangeables à souhait, médiocrement intéressés par le déroulement de l’insignifiante aventure humaine, ils existeraient, mais ne pèseraient pas. Ils seraient quelconques, sans intérêt, plat et terne, comme si le destin lui-même, se serait désintéressé d’eux. Ils seraient les éternels joueurs d’un jeu de « maux » dont l'à-peu-près les contenteraient.
Je ne crois pas à cette insignifiance imposée, héritée, assignée. Nous ne sommes insignifiants que parce que nous le voulons bien. Ou encore parce que nos semblables, témoins de mauvais actes, de quelques paroles vénéneuses, et plus généralement pour un simple délit de faciès, ne nous respectent tout simplement pas ou plus. Ce faisant, de facto, ils nous condamnent, nous ramènent, nous rétablissent dans une réalité insignifiante. Et il n’y a pas pire insignifiant, que celui que l’on se force à ignorer.
Prenons l’exemple de cet orgueilleux, de cet infatué, de cet outrecuidant président, peut-on dire qu’il est insignifiant ? C’est une possibilité. Car le monde entier a pu voir comment un certain Poutine, grand mégalomane devant l’Eternel, à traité ce hâbleur, ce fanfaron, ce beau parleur, lors d’une importante rencontre diplomatique où la Paix entre deux pays était en jeu, rien de moins. Contraignant ainsi, le Président de la République française, qui présidait alors, excusez du peu, l’Union Européenne, à faire face à son insignifiance dans le grand jeu de la diplomatie mondiale. Sur ce sujet où les vies de millions d’hommes et de femmes étaient en jeu, il n’a fait donc que passer, sans jamais peser …
On peut aussi rendre insignifiant, ce que l’on veut cacher, occulter, camoufler. Ainsi ces centaines d’enragés, de déchainés, d’ensauvagés venus avec de fermes intentions malignes, aux abords du stade de France. Depuis ce triste événement, la France est devenue la risée du monde. Tant par son incompétence à maintenir l’ordre public, qu’à faire respecter les Lois, et surtout par son incapacité à reconnaitre ses erreurs, y compris devant une commission d’enquête au Sénat. Sans que cela finalement, ne gêne personne ou si peu, jugeant sans doute, cette impéritie gouvernementale, insignifiante. Ces insignifiants-là, que l’on n'ose dénoncer, nommer, désigner, par trop de lâcheté, par trop de compromission, par trop d’opportunisme électoral, nous rappellerons un jour combien nous avions tort de les laisser passer et de les laisser croire que nous ne pesons rien.
Se taire, tourner les yeux, ignorer ce qui est important et aussi une manière de démontrer qu’il n’y a rien de marquant, que c’est sans intérêt, que c’est parfaitement anodin, dérisoire, insignifiant. Ainsi, lorsque ce Médecin militaire, exemple d’homme honnête s’il en est, est assassiné devant ses enfants à la sortie de l’école, les médias, nos politiques, nos élus, ont jugés qu’il valait mieux passer, discrètement, à autre chose, que de peser, par trop de questionnement, sur le pourquoi, sur le comment de tels actes puissent encore être possibles en France. Alors même que depuis des années déjà, une religion en particulier a revêtu l’habit d'un culte du morbide qui se répand sur le monde et sur notre Pays. Ce drame abominable, barbare, cruel, ne l’était sans doute pas assez, pour mériter au minimum les hommages de la Nation. La folie d’un homme présenté comme perdu, sans attache, sans cause, et surtout sans appartenance officielle à aucune religion, l’a rendu à sa plus simple banalité. Un fait divers, comme il y en a tant, et que le nombre, les répétitions, la fréquence rendent à notre époque, tout simplement insignifiant. C’est ainsi que dans notre société qui se veut, se dit, humaniste et juste, des innocents trépassent et que l’immense souffrance de leurs proches, ne pèsent absolument plus rien…
L’insignifiance peut aussi être légion. Qu’élection après élection, le nombre d’abstentionnistes ne fait que croître, devrait dans notre Démocratie qui s’honore d’être vertueuse et qui se pose en modèle, interroger. Entre le pire et le moins pire, l’abstentionniste fait son lit et s’endort aux côtés de ceux que la douleur empêche de dormir. Nos élus, ridiculement légitimes par le petit nombre d’électeurs qu’ils représentent, ne sont plus que des rouages insignifiants de cette mécanique détraquée. Souffreteux d’être si peu représentatif de notre société actuelle dans toute sa complexité, sa violence, sa pauvreté, ils sont aphones lorsqu’il s’agit de défendre nos droits. Pour certains, cette abstention-là, serait même une chance, la seule pour eux d’être élu. Cette insignifiance compte double pourtant, lorsque qu’à cette multitude silencieuse qui ne cesse de crier son désespoir, s’ajoute cette foule bruyante qui ne dit plus rien. Ces insignifiants-là, une fois réunis ne croient plus en rien, ne veulent plus rien, ne rêvent plus de rien. De tous ceux-là, notre Démocratie n’a que faire, les élections se passent sans eux, puisque de toute façon, ils ne veulent plus peser sur rien.
Quoi de plus insignifiant, aujourd’hui, que certains mots dont l’emploi même est devenu si rare qu’il en devient immédiatement suspect. Si toutes les vertus trouvent leur racine dans l'honneur, il est possible que, de nos jours, l'inconstance ne soit plus un défaut propre à rendre nos vertus infructueuses, stériles, insignifiantes. D’aucuns ont oubliés, que l’Honneur est fait de mille serments tacites sur son âme, que la morale peut éventuellement désapprouver, mais qui sans constance, ne peut exister. C’est encore plus vrai pour la « parole donnée », car on ne donne plus, on prête, on vend, on marchande, on négocie. Et ces quelques mots, ces accords, ces promesses, ces engagements sitôt lâchés sont déjà du passé et ne pèsent plus. Notre société trouve ainsi sans doute plus pratique de se départir à l’envie de la parole donnée. La première dérogation créant une excuse pour la seconde, jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien de la « parole donnée » et cet acte de trahison fait à soi-même, est jugé en son âme et conscience, pour le plus grand nombre, comme insignifiant…
Ce qui vaut pour beaucoup, vaut aussi pour le petit nombre ou pour un seul. Ce qu’à admirablement compris l’auteur de cette citation « Rien ne peut devenir aussi insignifiant que ce à côté de quoi l’on se réveille chaque matin de son existence… » (1). Dans le grand livre de sa vie, au matin de chaque page, combien se retrouve sans mot, sans parole, sans rien à y écrire. Confronté chaque jour que Dieu fait, au vertige de la page blanche, beaucoup préfèrent s’effacer, se dérober, se dissoudre, que de parler, se confier, s’abandonner à cet autre devenu avec le temps, une simple habitude. Lorsque l’on a oublié que tout est important, surtout ce qui paraît insignifiant à première vue. Lorsqu’il est plus facile de renoncer à ses sentiments que de changer ses habitudes. Lorsque l’on en est à trouver, que nous avons bien de la chance de vivre à deux sa solitude, c’est que l’Amour lui-même est devenu insignifiant. Il est passé et ne pèse plus…
Peut-on soi-même être, se sentir, se vouloir, insignifiant ? Nul ne peut être plus insignifiant, que lorsque vaincu par trop de mélancolie, d’accablement, de culpabilité, l’homme en est arrivé à brûler ses souvenirs d'enfance, à effacer ses rêves inachevés et à jeter ses restes d'espérance dans les profondeurs les plus insondables et les plus glacées de son âme. Une fois descendu au plus profond de ces abysses, tout devient insignifiant. La perception de son insignifiance confine alors à l’effacement le plus parfait de soi-même. Dès lors, passer, nous est devenu étranger et peser ne compte plus …
(1) Alessandro Baricco, écrivain italien.
JM-DZE