Dès l’installation du régiment en Guyane, le besoin d’une instruction spécifique au milieu équatorial apparaît comme primordial. Durant les premières années, il n’existe pas à proprement parler de structure spécifique : l’instruction est décentralisée dans les unités et se déroule en forêt à proximité de Kourou (camp Mattéi et camp Fabert). Les premiers cadres sont envoyés au CIGS de Manaus dès 1977.
Au fil des ans, la nécessité s’impose de formaliser l’instruction, de l’approfondir et de garder la mémoire pour bâtir une expertise dans la durée. Pour cela, une cellule “forêt” est mise sur pied en 1985. En 1987, la dissolution de la Compagnie d’équipement à Régina libère l’installation du camp Szuts, et c’est très naturellement que cette petite cellule s’y établit pour fonder le CEFE, sous l’impulsion du colonel Tresti. L’année suivante, l’état-major de l’armée de Terre prononce l’homologation du centre.
Commandé par un capitaine, le CEFE est organisé en deux piliers : le pôle “instruction” et le pôle “soutien”. Le pilier instruction regroupe un officier chef de cellule forêt, cinq instructeurs sous-officiers et dix aide-moniteurs forêt. Le pilier soutien, aux ordres d’un sous-officier supérieur, regroupe les fonctions indispensables au soutien des stages : alimentation, santé, maintenance, comptabilité. Le CEFE, c’est donc avant tout une équipe réduite et soudée, vivant dans un isolement relatif au cœur de la forêt équatoriale, et regroupant au mètre carré un panel dense de compétences et d’expérience opérationnelle.
Le CEFE s’impose comme un centre d’aguerrissement de l’outre-mer (CAOME) à vocation nationale et internationale. Il est le centre français de référence pour les actions en jungle et propose des stages de combat et d’aguerrissement aux compagnies permanentes du régiment, aux unités stationnées.
L’instruction en milieu équatorial
Les caractéristiques du milieu équatorial imposent une instruction militaire spécifique. Spécifique d’abord, quant à son objet : le contenu des formations dispensées doit en effet s’appuyer sur une véritable expertise de la forêt, pour que chaque soldat soit en mesure d’exécuter sa mission sans subir les contraintes de l’environnement. Cela signifie, par exemple, apprendre à monter un bivouac, s’orienter efficacement, ou encore connaître les espèces chassables et comestibles en situation de survie. Il s’agit du contenu objectif de la formation. Spécifique ensuite sur ses méthodes : elles consistent à exacerber la difficulté naturelle du milieu, en poussant les stagiaires dans leurs retranchements physiques et psychologiques, pour les endurcir mais également pour les sensibiliser au danger parfois extrême auquel ils sont susceptibles d’être exposés en conditions réelles. Pour cela, l’instruction se doit d’être juste (les punitions gratuites ou les brimades sont absolument proscrites) et exemplaire ; le personnel chargé de l’instruction a validé un ensemble de prérequis particulièrement exigeants, marque d’une crédibilité certaine. Tous ces aspects sont liés entre eux par “l’esprit Légion” qui donne aux stages réalisés leur caractère maintenant célèbre : mélange romanesque de pédagogie démonstrative, d’exigence impitoyable, de sérieux absolu dans les circonstances insolites, de discipline sourde au caractère inhabituel de la situation extérieure. “Ne cassez pas les obstacles !” ordonnera l’instructeur au stagiaire ayant chuté la tête en premier sur une planche. Ainsi le personnel formé au centre d’entraînement en forêt équatoriale peut-il avoir comme modèle ce félin décrit par Jean Galmot dans sa correspondance, peu avant sa mort :
“Lutter, créer, être libre (…) Pour marquer sa place, comme il faut être fort !(…) J’ai connu dans la jungle de Cayenne un vieux chat-tigre qui régnait sur une île. Il n’avait plus de poils, il était borgne ; ses pattes, broyées dans les combats, le soutenaient à peine. Il vivait cependant, toute l’île lui appartenait, les singes eux-mêmes fuyaient ses yeux ; il était l’image de la force. Son corps épuisé rayonnait d’orgueil. Lorsqu’il est mort, les chacals et les urubus ont respecté son cadavre. J’ai vécu la vie de mon ami le chat-tigre… La jungle qui tue ne m’a pas eu ; elle me fera grâce parce que je l’aime d’un amour fervent, parce que je lui dois tout, parce qu’elle m’a appris à être libre. La jungle est l’ennemi loyal et sûr, qui frappe en face, qui prend à bras-le-corps. L’adversaire hideux et bête, qui torture et qui fuit, le plus redoutable ennemi dans la jungle, c’est l’homme…”