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Après la présentation entre eux des intervenants, Arthur a amorcé d’une manière inattendue et téméraire la discussion qui a fait l’objet d’une réaction de notre part, aujourd’hui, c’est au tour de Maurice de prendre la parole.

“Je vous remercie pour cette très aimable invitation que je ne considère pas comme une aumône. C’est vrai, je suis ce que l’on appelait un “sans domicile fixe”, mais je suis un "clochard" propre, tous les matins je suis invité à prendre une douche au presbytère, une habitude quotidienne, je m’asperge du parfum du curé et je me ragaillardis du vin de messe, cela me rappelle ma jeunesse…

Je sais qu’aujourd’hui le mot “clochard” est remplacé,  à cause de sa connotation péjorative, par “sans domicile fixe”. Il y a des gens curieux qui pensent sans doute qu’en changeant d'appellation, on résout les problèmes.  A l’origine, le mot clochard était lié aux cloches qui annonçaient la fermeture des Halles et l’autorisation de récupérer les invendus. Personnellement, je ne fréquente pas les centres d’hébergement d’urgence, dans ces établissements, les règles sont trop strictes comme l’existence de couvre-feux, d’interdiction de fumer, le manque de sécurité, les horaires d’ouverture et surtout celui de la fermeture qui m’oblige à partir très tôt le matin avant que les travailleurs partent au boulot. L’hébergement de nuit se fait en dortoir et parmi les individus présents dans ce type de population, il y a des fous furieux, des alcooliques, des violents ou même des déviants sexuels. Dormir dans ces lieux peut être dangereux, et en tout cas, il ne faut pas être une femme…

Pour moi être dans la rue signifie que je n’ai plus aucune liberté, la seule chose qui m’appartient encore reste ma dignité et en tant qu’être humain, c’est la seule chose que je voudrai pouvoir garder.

Votre invitation me touche en plein cœur.

Sachez que “non, rien de rien, non je ne regrette rien” comme me le disait aussi dernièrement un compagnon qui avait fait un temps à la Légion. Ce qui me navre dans le contact que je garde avec mes semblables qui me font vivre, c’est le spectacle qu’ils offrent à un bonhomme de mon espèce, je suis pétrifié et accablé au point que seule une santé déficiente me ferait revenir citoyen modèle. Il n'y a pas de grande solution pour me sortir de là, mais vous non plus vous n'en avez pas pour changer votre société gérée par les vrais maîtres du monde: les banquiers.

Maurice ne cache pas qu’il se sent bien dans la rue et qu’il y a pris des habitudes difficiles à changer. Il nous impose une vraie réflexion sur tous ces gens qui font le choix de vivre autrement, de ne vivre que pour soi… Quand on évoque la misère, l’image des « sans domicile fixe » vient naturellement à l’esprit et pour cause, ils sont visibles dans les rues, les stations de métro, les gares et beaucoup d’autres espaces publics. Les relations sociales et familiales, l’intégration ou le lien de citoyenneté peuvent être modifiés, transformés, fragilisés, ils n’en restent pas moins existants. Ces hommes et ces femmes, nos semblables, sont bien obligés de vivre au jour le jour et doivent faire face aux imprévus du quotidien. Chacun gère sa vie à sa façon, utilise ou non les aides publiques proposées, talonnent, découvrent et affinent des méthodes de survie. C’est aussi une vie faite d’habitudes et de rythmes assez précis qui peuvent être largement suffisants pour occuper une journée.

 

Le silence qui suit s’impose, Maurice trouble ; Hervé dans une sorte de conclusion s’exprime avec ces mots: « Je pense qu’il y a des exemples où ces gens que l’on dit   complètement foutus réussissent à s’en sortir, je n’accepte pas l’idée que les « sans-abris » constituent une population pathologiquement différenciée de la "population normale". Le SDF   peut devenir un problème qui ne se présente pas en termes d’inégalités et de mobilités sociales mais en termes de morbidité et de catégorie singulière. En fait monsieur Maurice, vous êtes un exclu qui en est venu à ne plus pouvoir vivre autrement que dans l’exclusion de vous-même. »

« Que serait la lumière sans les ombres » et « le silence qui suit la musique de Mozart est encore du Mozart… ».  Le silence s’imposait. Une grande pause faisait place à l’enthousiaste affiché au début du déjeuner, nous étions «  le nez dans nos assiettes »… Hervé, l’ouvrier invité s’invita à prendre le relais.

A suivre : Hervé, l’ouvrier !

 

NB: Celui qui pourrait le mieux parler de cette situation pariculière des personnes qui vivent en marge et sont paradoxalement dépendantes de notre société; c'est le lieutenant-colonel (er) Jean-Claude Pierron qui a été directeur, bénévole, de la croix rouge du secteur d'Aix en Provence pendant de longues années...