Aucune photo, aucune image, aucun mot ne peuvent décrire la douleur.
Par exemple, la douleur d’une mère après la perte d’un fils, la douleur d’une famille par la suppression de leur subsistance, la douleur d’un pays par l’extermination de ses enfants, la douleur d’un peuple par la destruction de sa dignité. Et pourtant, il y a des photos, images et paroles qui sont de réels et mémorables actes de prévention de douleurs futures – Je pense que c’est aussi la mission des médias, des journalistes, de les montrer tout en sauvegardant le respect dû à l’intimité humaine. Probablement viciés du zapping télévisuel et des lectures on line de journaux, il y a des pensants, des parlants, des « écrivants » ayant accès aux médias qui mettent à l’index, de façon insistante, la supposée infamie que constitue la divulgation de photographies et autres images de blessés ou de victimes mortelles de guerres, d’attentats ou d’accidents divers. Il est évident qu’il y a des personnes et des pouvoirs qui usent, légitimement, ou abusent, indûment, de l’exportation exhaustive d’images de leurs femmes et enfants en situation de souffrance, de douleur. Maintenant c’est le tour des Palestiniens de la Bande de Gaza – d’autres fois c’est la douleur des juifs, des Ukrainiens, des catholiques et des protestants, des blancs, des noirs, des fascistes, des communistes…
Cette semaine, pendant les journaux télévisés, mon ami le garagiste du coin s’est surpris à feuilleter de vieilles revues et à fouiner dans de vieilles boîtes à chaussures pleines de photos jaunies aux bords découpés en zigzag. Il a regardé les photos classiques de juifs entassés dans les camps de concentration nazis – images d’hommes, femmes et enfants cadavériques, qui à force d’être publiées ont cessé d’être des exemples de douleur pour devenir des documents historiques pour la mémoire future. Et là, au fond d’une boîte, il a retrouvé les photos qui le choquent par-dessus tout, celles qui provoquent en lui la plus grande douleur.
Des photographies de têtes décapitées qui sourient, d’autres prises en Afrique - têtes de noirs plantées sur des piquets, corps de blancs écartelés, de femmes blanches, enceintes et éviscérées, enfants trucidés dans leurs fermes. Photos et images alors prohibées, divulguées avec des pincettes sous le manteau, en circuit fermé, tout au long des années de ces guerres. Avec l’âge, mon ami le garagiste devient un peu pleurnichard mais déterminé. Il a assis son petit-fils sur ses genoux, bien en face de la télévision, et lui a expliqué, les yeux brillants et un peu humides, qu’il ne sait pas qui a raison au Moyen-Orient, ce qu’il sait seulement, c'est que beaucoup de ces gosses qu’il voit à l’écran, juifs ou Palestiniens, vont mourir victimes de coups de feu ou d’éclats d’obus et de roquettes : « Regarde ! Regarde ces enfants de ton âge couverts de sang ! ».
Si le véritable courage exige du bon sens, il est des moments où le simple bon sens exige du courage. Le courage d’expliquer… en montrant ?
AM