Une autre forme de mythomanie bien connue. Le mendiant qui se fait passer pour ce qu’il n’est pas se rencontre facilement au coin des rues de nos villes. Il s’agit pour lui de susciter la commisération en affichant un élément propre à susciter un élan de générosité. Souvent une misère physique, amputation d’un membre, réelle ou supposée – il y a des dispositifs pour ça combinés à une position physique adéquate - l’exposition d’enfants en bas âge, d’animaux et j’en passe… les ressortissants à certaines nationalités s’en sont fait une spécialité !
Cette fois-ci notre ami CM est tombé sur plus subtil : un homme fait « la manche » à Aix en Provence en se servant d’un képi blanc pour récolter le produit de la générosité qui passe… En effet, le prestige de la Légion mis en avant par ce képi blanc, sert de ressort émotionnel qui va déclencher chez le passant un élan de solidarité envers le « héros » méconnu qui a été, à un moment de sa vie, prêt à la sacrifier pour la France. L’observateur ne peut s’empêcher de ressentir une légitime et respectueuse compassion pour la grandeur d’âme passée – et supposée - de cet individu, et une certaine révolte intime surgit contre ce que le destin lui a réservé. Et les pièces de monnaie s’entassent à l’intérieur d’une coiffe qui a cessé d’être blanche dans sa réalité matérielle et dans son esprit !
AM
C’est lors d’une balade à Aix en Provence, que mon regard était attiré par un homme assis à même le sol qui avait posé devant lui un "képi blanc" qui lui servait de réceptacle au produit de la mendicité qu’il sollicitait auprès des passants.
Après de grosses discussions quant à l’utilisation de ce képi blanc, j’appris que cet individu avait été, soi-disant, légionnaire et qu’il se trouvait dans la rue sans autre but que de survivre. C’était, disait-il, un vide infini, une sorte de marécage parsemé de souvenirs qui se sont érodés, effacés, engloutis. En ce lieu, ils ont fait place à un tout autre paysage, ici la poubelle généreuse d’un restaurant, là, le conteneur bien pourvu d’un immeuble, là un abri contre la pluie ou, souvent, la soupe populaire, un banc public… Il évitait l’accueil de la « Croix rouge » que tenait de haute lutte mon ami le lieutenant-colonel (er) Jean-Claude Pierron.
Ce vieux vivait là, à côté de hordes de congénères, exclu de la vie active, de punks avec chiens, il était devenu un “sans domicile fixe”, sans identité, menant une vie d’homme invisible, soumis aux lois des besoins les plus criants et les plus immédiats, détaché de tout. Détaché du présent, de la chronologie du temps. Une vie d’oiseau avec quelques envols vers la mangeoire la plus proche, la quête d’un abri pour la nuit, d’un endroit où se reposer. Obstacle à contourner pour le passant, ce vieux avait tout son temps, il mendiait sans se cacher. Ne suscitant même pas un simple regard d’intérêt, il était pour moi une cause d’agacement. Seuls comptaient pour lui la gorgée de vin à même le goulot, un abri, un trou pour la nuit, la peur.
Quand il se déplaçait, il avait l’allure d’un « clochard » sans pourtant donner l’impression d’en être un. Il se tenait devant une boutique, pas trop mal habillé ; ses chaussures seules détonnaient avec le reste de son apparencee ; tout au plus était-il dépenaillé. Sans vraiment l’avoir regardé, je pensais: « en voilà un qui n’a rien à faire, qui n’a pas de projets, ni obligations, ni revenus, ni appartenance, ni un chez soi et qui, quand même, doit avoir honte ». Il essayait de prendre l’air naturel, jetait des coups d’œil à droite et à gauche comme un homme qui attend quelqu’un, comme qu’en essayant de passer inaperçu pour sauver les apparences. Las… on ne voyait que lui ! En place devant la boutique après avoir quitté son banc ou son refuge, et sans doute rectifié tant bien que mal sa tenue, peut-être bu un café ou un petit coup, sa journée « professionnelle » commençait ; cette journée qui ne serait qu’une suite de lignes droites rythmées. On ne lui demandait plus rien, les touristes égarés n’osaient pas s’enquérir auprès de lui de leur chemin. C’en était fini des tâches dictées, des ordres à exécuter, de la pression du devoir, des contraintes horaires, des emplois du temps, des attentes dans l’espoir d’une promotion.
A cette époque, directeur de l’Institution des Invalides de la Légion étrangère à Puyloubier, je lui adressai un message d’accueil lui précisant que le domaine avait de quoi lui offrir une meilleure vie au sein de l’institution faite pour lui et tous ceux, plus ou moins démunis, qui furent de bons serviteurs de la Légion étrangère. Au passage je lui dis, sans trop de prudence, que je ne trouvais pas très correcte l’utilisation qu’il faisait du képi blanc et que ce genre de mendicité et la manière dont il la pratiquait, me semblaient particulièrement indignes d’un homme qui se disait avoir été ancien légionnaire et que je vais porter plainte.
Sur ce, il explosa d’une colère noire, insultant la terre entière, exposant aux yeux des passants médusés une attitude exhubérante et inquiétante d'un fou en plein délire. Après quelques instants, il se calma, m’avoua bien humblement ne jamais avoir été légionnaire… le képi, il l’avait reçu comme don d’un de ses camarades de misère, décédé. Après avoir récupéré le képi, je lui offris la baguette de pain que je venais d’acheter et partis en racheter une autre…
CM