Un constat sans appel, celui de l'absences dans nos mémoires du souvenir de nos camarades décédés qui ont marqué notre vie de légionnaire. Pour moi, je partage celui de l’adjudant-chef Luigi Dutilleul alias Lucien Durieux:
« Il me disait qu’il avait compris que la vie qui était sienne avant son engagement ne lui correspondait absolument pas, il s’y sentait abandonné et devait éviter de céder à l’amertume et à une forme malsaine de désoeuvrement, il avait décidé de venir changer d’air en s’engageant au titre d’un contrat à la Légion étrangère. Rien d’exceptionnel certes, mais c’est ainsi qu’il se retrouvait affecté à Madagascar au sein du 3ème REI à Diégo Suarez.
C’est là que je rencontrai ce personnage « haut en couleur ». Deux catégories de légionnaires ont marqué mon passage à la Légion: les chefs de section en Guyane qui sont les rois de ce que nous appelons l'aventure avec la mission profonde et à Madagascar, les légionnaires qui étaient les maîtres d'une liberté qui pouvait servir d'affiche de recrutement...
J’avais alors la mission de transporter en car les familles et les permissionnaires les jeudi, samedi et dimanche à la plage d’Orangea située à 20 kilomètres de Diégo. Avec un troisième compagnon, le caporal Libertier, nous louions une case au bord de mer au village de pêcheurs « Ramena » nos voisins immédiats.
C’était à ne point douter une très bonne initiative et une manière d’éviter le "Night de Diégo" de la « Taverne » haut lieu de « perdition » qui occupait nos loisirs d’une forte ambiance à l'intensité et l'attirance exceptionnelle…
A Ramena, nous avions pris l’habitude de solliciter pour quelques pièces de sous malgaches le Maire du village qui nous accompagnait avec sa barque en mer d'Emeraude pour y pratiquer la plongée sous-marine. L'endroit était exceptionnellement poisonneux et les couleurs étincelantes agrémentées de grandes nuances dominées par un vert émeraude époustoufflant.
Lucien Durieux, de son nom Légion, était particulièrement doué pour ce genre d’exercice, pensez donc, il était capable de descendre bien au-delà des 10 mètres de profondeur, ce que j’étais incapable de faire.
Un jour qui ressemblait bien aux autres jours, Lucien, dans sa folie des profondeurs, harponna une énorme raie qui l’entraina bien loin de notre lieu d’ancrage de notre barque. Prudemment devant ce monstre, lucien décida de laisser la vie à ce superbe poisson et essaya de détacher sa flèche du corps de l’animal. brusquement, la raie fit volte-face et enfonça violemment son dard dans les fesses de notre camarade qui remonta précipitamment à la surface de l’eau entouré d’une nuée de sang. Immédiatement nous réagissions, en remontant à bord Lucien qui hurlait de douleur. Maladroitement nous tentions de boucher l'énorme trou avec ce que nous trouvions à bord de la barque. Heureusement, les marins tenait un poste à Ramena et après les premiers soins, ils partirent avec leur ambulance, sirène hurlante vers l’hôpital militaire de Diégo.
Le Maire de Ramena, nous expliqua que cette raie représentait une réelle opportunité pour les villageois et nous décidions de ce fait de revenir sur les lieux « du crime ». La raie était toujours là, dans l’incapacité de se déplacer, elle était attachée à la ficelle de la flèche qui s’était enroulée à un rocher.
Et, c’est ainsi que nous apportions l’animal au village, Libercier suggéra de mettre l’énorme dard de la raie sur un socle en bois et de l’offrir à notre camarade lors de notre très prochaine visite à l’hôpital…
Lucien allait bien, les médecins soulignaient sa chance d’avoir été touché dans la partie la plus charnue de son corps et qu'aucun organe vital ne fut touché. Impressionné par le dard qui faisait plus de 14 centimètres, Lucien mesura ce à quoi il venait d’échapper et lu avec stupéfaction et amusement le mot qui accompagnait le trophée : « Tout ne pourra plus jamais dire qu'on ne te fera pas, un deuxième trou au cul. »
Mémoire :
Je retrouvais bien plus tard Lucien Durieux, devenu Luigi Dutilleul, adjudant-chef au service général de l’IILE de Puyloubier où il devait terminer sa carrière. Il quitta le service actif sans laisser de lieu de repli. Ainsi, mon Ami disparaissait de mon regard mais restera à jamais dans un coin de mes souvenirs, cachés au fond de ma mémoire.
Le peintre Andréas Rosenberg fit son portrait précisant, au besoin, qu’il représentait à merveille le type même de sous-officier légionnaire.
CM
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