Je me souviens de ma visite au musée “Paul Gaugin” situé sur la côte ouest de Tahiti, près de Mataica où l’artiste s’était installé lors de son premier séjour en Polynésie en 1891.
J’étais accompagné de mon ami Gilbert Tissot et religieusement au bar du musée, avant la visite, nous dégustions un délicieux “Irish Coffée”, de quoi nous mettre en disposition pour affronter la suite des activités prévues pour cet après déjeuner…
En fait, c'était une journée “culturelle”, organisée depuis l'atoll de “Mururoa” où nous étions affectés. Notre mission s'activait au profit du Commissariat à l’Energie Atomique (CEA). par bonheur ou non, tout les deux mois, nous nous rendions à 2 000 kilomètres de là, à Papeete, où nous pouvions nous offrir une détente salutaire, Ô ! combien folklorique en tous genres gardant le fil conducteur de se dérouler en tout bien, tout honneur... cela va de soi.
J’expliquais à mon Ami, qu’au cours d’une de mes promenades très matinales sur l’atoll, un jour comme les autres, une réflexion s’était imposée à moi et que depuis, elle me laissait le désagréable goût amer d’une question sans réponse…
Ce jour là, je lui disais:
“La nuit s’achevait, le ciel n'attirait aucune attention particulière et pourtant, il se présentait, telle une loupe d’une taille démesurée dans laquelle je regardais d’un oeil étonné ma triste condition de "grain de sable" aux bords d’une des plages des eaux de la terre.
En fait, j’étais face à moi-même, devant l’océan dit “Pacifique” au nom mal approprié à notre mission et j’en étais à me remettre en mémoire mes tourments, mes soupirs, mes inquiétudes et curieusement je me libérais aussi de mes peurs cachées et du supplices des doutes qui ne me quittaient jamais.
Le cri d’un oiseau marin s’élevait au dessous du flux et du reflux du ressac, le vent se levait et s’imposait comme une respiration salutaire et bienvenue, l’horizon semblait proche et l’impression forte d’être nulle part et ailleurs en même temps, m’envahissait d’un sentiment aussi inexpliqué qu’inattendu, une sensation réellement inconfortable.
La mer, dit-on, ce n’est que de l’eau salée venue des nuages, voici une éternité, du temps où la terre ardente commençait à se refroidir. Mais celui qui se trouve devant elle, comme moi aux premières lueurs de l’aube, quand le soleil commence à peser lourd sur la houle sait bien à quoi s’en tenir. Il sait que l’homme quoi qu’il puisse inventer ou créer n’y a plus sa place aujourd’hui, il en a fait un monde stérile et absurde. Il ne parviendra plus, même par miracle, à s’attendrir devant cette vie qui vient du fond des mers, enigme obsédant qui n'a pas trouvé de réponse.
Le ciel s’était perdu, il se cachait et se laissait aspirer par l’Océan, tous deux apparaîssaient dans une couleur unique, la marée montante murmurait son approche de la terre, je n'était curieusement pas seul.
La science peut expliquer comment la mer est née, jamais elle ne pourra dire comment se fait-il que lorsque se présente devant elle un homme, ce dernier sent une réelle impuissant et devient vite un petit être, tout petit, devant cette force latente qui recule, tonne avec un aplomb retenu et se heurte furieusement à un platier de corraux pour finir en se confondant dans une image tourmentée où se mélangent espoir et doute en conflit permanent.”
J’en étais là de mon monologue et je revenais au moment présent de notre visite au musée, “Peut-être que Gaugin, dans sa tête imaginait aussi ce sentiment face à la mer et qu’elle lui inspirait le tableau de la vie préfacé: “D’où venons-nous, que sommes-nous, où allons-nous?” tableau dont l’original se trouve au musée des “beaux arts” au Massachusetts aux Etats-Unis.
Une journée parfaitement réussie qui devait être une amorce à bien d’autres…
CM