Histoire :
Henri DIESCHBURG 1887-1918 Henri Dieschurg, né à Echternach (Luxembourg) en 1887, de nationalité luxembourgeoise, fit ses études d’ingénieur à Université de Liège, où en 1911 il acquit le diplôme d’ingénieur civil électricien.
Il fut engagé aussitôt par la Compagnie Générale d’Electricité (prédécesseur de l’EDF) à son siège 54,rue de la Boétie à Paris. Lorsqu’en août 1914 la guerre éclata, il se porta volontaire dans l’armée française tout en demandant la naturalisation française.
Il fit ensuite son instruction militaire à Avignon et fut affecté avec le grade de caporal au 2e Régiment de Marche du 1er Etranger. Avec cette unité il prit part, dès novembre 1915, aux opérations sur le front du nord dans la région d’Arras. Lors de l’attaque des Ouvrages Blancs en date du 9 mai 1915,il fut grièvement blessé.
Son comportement lors de cette attaque lui valut la Croix de Guerre et une Citation à l'Ordre de l'Armée (voir document du 23 juin 1916 en fin d'article).
Après un séjour de plusieurs mois à l’hôpital militaire de Perros-Guirec (Côtes-du-Nord), suivi d’une période de convalescence, il fut affecté temporairement au dépôt de Lyon.
Déclaré inapte à faire campagne, il réintégra son emploi à la Compagnie Générale d’Electricité à Paris où il travaillait pour la Défense Nationale.
C’est durant la période de convalescence qu’il reçut la notification de sa naturalisation française et qu’il rédigea son « Récit de Guerre » (voir document annexé) dans lequel il décrivit minutieusement les péripéties de ses engagements sur le front du Nord dans la région d’Arras.
Le 25 octobre 1918, il décéda à Paris à la suite des graves blessures subies en 1915. Lors de son enterrement subséquent à Paris, des discours funéraires furent prononcés par le chef du personnel de Compagnie Générale d’Electricité et par le président du Comité franco-luxembourgeois de Paris.
Le diplôme « Mort pour la Patrie », décerné par le Gouvernement français, fut remis aux parents d'Echternach (Luxembourg) par l’intermédiaire de la légation de France à Luxembourg au début des années 1920. Le nom de Henri Dieschburg fut inscrit sur la plaque commémorative apposée dans la cour intérieure au siège de la Compagnie Générale d'Electricité (act. Electricité de France), au 54 rue de la Boétie à Paris.
La présente documentation a été rédigée en janvier 2014 par Ernest REITER, époux de Marthe Reinert, nièce de Henri Dieschburg,sur la base des documents légués par son beau-frère Henry Reinert, décédé en 2009.
Récit de guerre de Henri Dieschburg
Mesdames, Messieurs,
Le Comité franco-luxembourgeois a bien voulu me demander de vous faire le récit de mes souvenirs de campagne. Je vais donc rapporter aussi fidèlement que possible les événements et les impressions de mon passage à la Légion Etrangère.
Le 27 juillet 1914, j'écrivais à peu près ceci à mon père : « On parle ici beaucoup de la guerre. Quoiqu'il me semble presque ridicule de croire à une telle éventualité, je serais heureux de savoir ton avis au sujet de la décision à prendre en cas de conflit. Faut-il que je retourne chez nous, que je reste en France ou que je m'engage? »
Mon père me répondit : « Fais comme il te semblera le mieux pour toi, sans t'inquiéter de nous.»
Aussi, quand le premier août au soir, on afficha le décret de la mobilisation générale, mon devoir était tout indiqué. En vrai Luxembourgeois, aimant la France, vivant au milieu de chefs et de camarades français, je ne pouvais envisager qu'une ligne de
conduite: SERVIR.
Cela, je le ressentais encore plus vivement le 3 au matin, en entrant à l'usine et en voyant les yeux en pleurs de mes ouvrières. Comment aurais-je pu commander à des ouvrières dont le mari, le fiancé ou le frère était parti, tandis que moi je restais, et par quel
privilège : celui d'être un étranger.
Aussi, ma décision était-elle prise. Je profitai du délai laissé aux engagements pour prendre tous les renseignements en vue d'un acte aussi grave.
Tous les jours, j'allais aux Invalides voir les engagements. Tous ceux qui ont vécu ces jours-là, savent avec quel enthousiasme des milliers d'étrangers venaient offrir leur vie à la France, avec quelle impatience tous attendaient leur tour, comme si, demain, la guerre pouvait se terminer sans eux.
Le 27 août, départ de la Gare de Lyon pour Avignon. Comme à tous ces départs, un train couvert de fleurs. Un enthousiasme fou. Des acclamations à toutes les stations, à tous les passages à niveau. Des chants couvrant le bruit des wagons, chants qui ne faiblissaient que le deuxième jour, non parce que le coeur manquait, mais parce que les voix s'enrouaient.
A Avignon, après une réception splendide, nous sommes casernés au Palais des Papes. Quelle douche pour notre enthousiasme, cette première nuit d'Avignon.....Couchés en rangs serrés, dans des salles dallées, sur une couche de paille transparente, tombant en poussière, nous subissons les premières atteintes de la guerre.
Quel coup de massue, que cette première nuit à la caserne, pour moi qui ignorais tout de la vie militaire, qui m'attendais bien à être blessé un jour, mais non à coucher dans une telle promiscuité sur les dalles nues d'un Palais des Papes .....
Mais on se fait à tout et le deuxième jour, je savais déjà sauter le mur pour aller coucher à l'hôtel.
Quinze jours après, nous étions habillés. Notre première course était au photographe où nous posions fièrement dans l'uniforme français, l'uniforme de nos rêves.
Le 1er octobre, je passais caporal, affecté au 4me Bataillon de Marche, encadré par des officiers et sous-officiers venus de Saïda,
le dépôt du 2me Etranger.
C'était le départ pour le front tout proche. Avec quelle attention on écoutait le récit des blessés qui en revenaient...Avec quelle émotion on recevait des mains du fourrier les plaques d'identité, destinées à nous reconnaître en cas de mort ou de blessure grave ...
.
Ce ne sont, dorénavant, plus que manoeuvres, marches et exercices de tir.
Le 20 novembre, nous partons pour le front. Permettez-moi de profiter des longues heures de voyage d'Avignon à Epernay, pour
vous dire quelques mots de notre régiment et vous présenter mon escouade, la 9me de la D. 4.
La Légion Etrangère : corps bizarre à l'intérieur, mais quels soldats admirables le jour de l'attaque ....
A vrai dire, nous n'étions pas la Légion Etrangère. Quand les engagements commençaient, le Gouvernement français avait fait savoir par les journaux que le Corps des Volontaires qui allait être formé n'avait rien de commun avec la Légion Etrangère, mais devait porter le nom de Régiment Etranger.
En voyant ce corps, incroyablement disparate et peu sympathique à première vue, nos chefs militaires jugèrent sans doute qu'il leur était impossible d'utiliser ces hommes pour la guerre, présumée courte, sans un cadre de soldats éprouvés. Aussi vîmes-nous bientôt arriver à Avignon des contingents de vrais légionnaires, officiers, sous-officiers, et soldats, qui, s'ils nous apportaient leur valeur militaire, apportaient aussi la discipline rude, les habitudes et les vices de la vraie Légion, ce qui nous dépaysait étrangement.
Il faut dire que dans les Engagés Volontaires, il y avait aussi des éléments peu assimilables. Tout cela vous expliquera que, si notre corps était admirable au champ de bataille, il présentait certaines particularités qui n'allaient pas sans heurts parfois à l'arrière des lignes.
Je ne saurais vous donner une meilleure idée de l'étrangeté du milieu qu'en vous présentant mon escouade, avec laquelle j'ai vécu les 7 mois du front.
Nous étions 14, représentant 9 nationalités : 3 Arménien, 3 Suisses, 2 Français, 1 Argentin, 1 Italien, 1 Syrien, 1 Arabe, et enfin 1 Luxembourgeois.
Les professions aussi étaient des plus variées : ingénieurs, négociants, employés de commerce, boulangers, pâtissiers, cuisiniers, chaudronniers, manoeuvres, charcutiers et, pour compléter la série, deux hommes d'un passé infiniment louche, exerçant des professions bien mal ou peut-être trop définies, et venus pour se réhabiliter, sans doute.
L'un de ces derniers a même passé en Conseil de Guerre pour menace de mort envers son capitaine. C'est à cette occasion que nous avons appris, entre autre choses, que ces deux spécimens étaient des évadés de la Guyane.
De cette escouade, il reste encore deux hommes à la Légion, 6 sont morts, 5 sont réformés pour blessures graves, un enfin doit être
retourné au bagne pour purger sa peine. Voilà la 9me escouade, la mienne. Cet aperçu vous permettra de vous rendre compte de
l'extrême variété des types et des caractères, pouvant être réunis dans une seule escouade des Régiments Etrangers.
Nous arrivons à Epernay le 22 novembre, heureux de commencer notre guerre, mais émotionnés quand même à l'approche de cette grande inconnue, annoncée par le bourdonnement des gros canons.
Après une marche de 20 kilomètres à travers une riante campagne, où seuls quelques ponts détruits et des boîtes de conserves alimentaires allemandes traînant dans les champs, nous indiquaient que les Boches avaient passé par là, tant la victoire de la Marne les avait surpris, nous arrivons à Louvois, notre lieu de cantonnement, à 30 kilomètres environ de la première ligne.
Quelle joie pour nous, de pouvoir nous installer dans une maison, avec de la paille bien fraîche, et les cuisines en plein air....
Ce furent trois semaines heureuses, occupés par des exercices en plein air et des marches, entrecoupés par quelques farces innocentes . Telle l'histoire de la meunière, réclamant à cor et à cri son matou, le lendemain du jour où notre chef cuisinier avait eu l'amabilité de faire, aux sous-officiers de la Cie, la surprise d'un civet de lièvre.
Le 13 décembre, nous partons pour Bousy, un village tout proche. Nouvelle installation, nouvelle visite du pays, et recensement des jolis minois. Aussi, le lendemain, tout homme épris de beauté courait se faire raser pour voir la jolie femme du coiffeur, ou se faire servir un litre par la belle enfant du « Cheval Blanc »
A noter une expédition nocturne à quatre à la Tour de Bousy, pour surprendre un espion qui lançait de cette tour des fusées et des lueurs suspectes. Expédition sans résultat.
Le 20 décembre enfin, vers minuit, départ pour les tranchées. Inutile de vous dire notre émotion en approchant de l'ennemi, en traversant les villages déserts, en entrant dans ces fameuses tranchées dont on nous avait déjà tant parlé. Inutile de vous dire avec quelle curiosité nous attendions l'aube pour voir les tranchées d'en
face, avec quelle anxiété nous attendions le premier coup de canon de l'ennemi.
Imaginez une vallée large de 6 kilomètres, striée par des routes, une voie ferrée, le canal de la Marne à l'Aisne, des bois de saules et
de sapins, vallée brodée des deux côtés par des hauteurs boisées. Au centre, un village martyr, Prunay, aux murs ébréchés, aux maisons coupées en deux, dévoilant aux passants leur intérieur parfois intact, au clocher décapité, par la fureur des Boches, au cimetière dévasté par des obus aveugles ou criminels.
Une raie blanche, car nous sommes ici dans un terrain crayeux, indique la tranchée boche, sur les flancs d'une des hauteurs boisées et à la lisière du bois, à 500 mètres de notre tranchée. Derrière nous, la plaine, coupée par d'innombrables boyaux et tranchées, le village de Prunay, des bois et au fond, à mi-côte, les villages de Verzenay et de Verzy, entourés de vignobles, siège des maisons Moët et Chandon et Mumm.
A remarquer que Verzenay était bombardé presque tous les jours, excepté le coin comprenant les propriétés du sieur Mumm, colonel dans l'armée allemande.
Voilà la terre de France que nous avons occupée pendant six mois, passant successivement trois semaines dans les tranchées de première, deuxième et troisième ligne, et une semaine au repos. Voilà le secteur que nous avons défendu, non pas tant par les armes que par la pelle et la pioche, creusant de nouvelles tranchées avancées, établissant des travaux de défense. Je ne vous étonnerai peut-être pas en vous apprenant que pendant ces six mois, tout en essuyant maints coups de feu et en subissant des bombardements sérieux, nous n'avons jamais eu l'occasion de voir la tête d'un Boche.
Aussi ne puis-je que vous citer quelques incidents qui nous ont parfois fortement impressionnés, mais qui n'eurent en somme, pas de véritable importance.
Le 22 décembre, notre deuxième jour d'occupation du secteur, un bruit court dans la tranchée : ATTAQUE.....
Tout le monde court à son poste. Bientôt des paniers entiers de cartouches sont apportés. A trois heures de l'après-midi, un ordre du capitaine : « Commencez un feu nourri, objectif : la tranchée d'en face. » Nous tirons comme des fous, heureux de pouvoir user des cartouches à discrétion.
Quelques-uns tirent en l'air, pour éviter de sortir la tête en visant, car les créneaux sont encore bien rudimentaires et rares, et les périscopes encore chose inconnue. Nous tirons une heure, deux heures. Pas de réponse.... Vers cinq heures on arrête le tir. Nous apprenons qu'à notre gauche, un bataillon des nôtres a attaqué à quatre heures et que notre fusillade était destinée à tromper l'ennemi sur le lieu de l'attaque. Mais les boches étaient prévenus et attendaient nos amis depuis deux heures, à l'endroit voulu. Aussi l'attaque a-t-elle échouée heureusement sans grandes pertes.
Le 10 janvier 1915, nous sommes en première ligne, à 200 mètres des boches. Occupés à faire des terrassements, nous sommes vus et aussitôt une dégringolade de 77vraie camelote boche, nous arrive. Un obus tombe à trois mètres de moi, sur un parapet. Pas un éclat, pas une poussière, même pas un souffle. Le 12, un autre traverse un créneau, à 2 mètres d'un de mes hommes de garde Rien.
Un troisième tombe à l'entrée de la galerie souterraine qui servait d'abri au corps de garde. Quelques débris de terre éclaboussent les 3 premiers hommes, assis à un mètre du point de chute, et c'est tout. Inutile de vous dire qu'à partir de ce moment , nous n'avions pour le 77 qu'un piètre respect.
Le 2 février, grande fête en première ligne. Les Magasins du Louvre ont envoyé des colis aux soldats. Il en est arrivé une cinquantaine à notre Cie. D'où tirage au sort.
Quelle émotion à ce tirage....Car les marraines sont encore chose inconnue. Dans chaque colis, des mouchoirs, savonnettes, friandises, et au fond un billet ... doux bien entendu. Quels beaux rêves ont causé dans les cagnas souterraines ces billets dont je ne vous citerai que deux : »Il n'est de plus doux gage que l'amitié d'une vraie Française. Signé : Joséphine, et : « Un bon baiser au cher poilu. Signé: Louise : en P.S. Je suis blonde ».
Le 15 février survient le premier évènement grave de notre vie de tranchée. Le caporal Saint-Martin est tué au poste d'écoute par une balle de mitrailleuse. C'est le premier mort de notre Cie. Mon escouade est désignée pour rendre les honneurs. A la tombée de la nuit, nous nous faufilons dans le village de Prunay. Sous un hangar à moitié effondré, la lueur funèbre de deux bougies nous indique le corps qui repose dans une toile de tente. L'aumônier arrive. Un commandement bref : le cortège se forme et l'on voit deux files d'ombres, l'arme basse, longer les murs, traverser les décombres pour aboutir au mur du cimetière où, sous un saule immense, la tombe attend notre camarade.
Deux mots de commandant, un adieu du capitaine et quelques pelletées de terre, d'un bruit sourd et doublement tragique dans cette atmosphère de mort, sont le dernier salut du régiment à notre cher caporal. Mon séjour en Champagne se continue sans incident notable jusqu'à fin avril.
Le 23 avril, nous partons subitement pour une destination inconnue. Après avoir traversé quelques villages de Champagne, nous nous embarquons le 26 à Germaine, au nord d'Epernay. Le bruit courait que nous allions partir aux Dardanelles, et tous, nous étions heureux d'aller chez les Turcs ; nous les voyions déjà jetés à la mer, et nous autres aux portes de Constantinople, prêts à dévoiler les secrets du harem.
Aussi, quand, au Bourget, on nous dirigea vers le Nord, nos beaux rêves s'envolèrent.
Heureusement d'ailleurs, car les évènements nous ont appris que les Dardanelles n'étaient guère la terre promise du soldat.
Mais notre désappointement n'était que passager.
Bientôt retentissait la Marseillaise. Cette fois-ci il n'y avait pas d'erreur, nous allions voir les boches.
Le 28 avril, nous arrivons à Acq, dans le Pas-de-Calais, où nous nous installons.
Le 1er mai, nous partons aux tranchées, face aux retranchements boches, appelés « Ouvrages Blancs » en avant de la ferme Berthonval, ayant Souchez à gauche, Neuville-St-Vaast à droite, et derrière nous le mont St-Eloi.
Décidément, ce secteur était plus sérieux. Le premier jour nous avons deux morts et un blessé. Mais la nuit même nous devions prendre notre revanche.
Mon escouade était au poste d'écoute, à 75 mètres environ des Boches. A notre gauche et un peu en avant, le poste d'écoute de l'escouade voisine.
Deux de mes hommes piochaient à la sortie du poste, coupant des marches dans la terre pour faciliter la sortie lors de l'attaque ?
Tout à coup, vers minuit, ils sautent dans la tranchée au cri : « Les Boches, les Boches ». Un retentissant « feu » et tous les fusils crachent un feu d'enfer.
Notre poste de gauche en fait autant, tirant presque dans notre direction Après quinze minutes de fusillade, nous cessons le feu, attendant l'ennemi, baïonnette au canon. Mais rien. Si, un cri tragique, une plainte lugubre semble nous arriver de tout près : « Kamarad Kamarad. Oh, aidez-moi, je suis blessé » . Et des pleurs et des larmoiements.
Un boche blessé ?......Une embuscade ?.....Nous écoutons, les fusils braqués, cherchant à savoir si cette plainte est sincère.
Nous ressentons une vive joie, mêlée de fierté, d'avoir surpris ceux qui comptaient nous surprendre, mais mêlée aussi de pitié et de dégoût pour un ennemi qui nous faisait une guerre telle qu'on ne pouvait même pas se fier à la plainte d'un mourant dans la nuit.
L'aube, que nous attendions avec une impatience bien compréhensible, nous montrait, à 30 mètres de nous, deux boches tués ; en outre un blessé qui se traînait, tel un chien aux reins cassés.
Voyant notre poste si proche, il rampe chez nous. Les Boches lui crient : »Viens par ici, tu vas chez les Französe ». Mais le blesséavait confiance et arrivait heureusement dans nos lignes, malgré la fusillade que lui adressèrent ses « Kamarades » en le voyant faire. On le panse, on le porte au poste de secours. La perte de sang avait été trop forte : il expirait peu après.
C'était le premier Boche, du 136me Bavarois, que nous voyions depuis notre entrée en campagne.
Le soir du 2 mai, nous retournons au repos. Le 5, nous apprenons que l'attaque est prévue pour le 8 au matin. Le capitaine nous passe en revue en tenue d'attaque ; mais le 7, il pleut à torrent, et comme le terrain est argileux, l'attaque est remise au 9 mai.
Je ne crois pas vous étonner en vous disant que le 7 au soir, sachant l'attaque toute proche, nous nous sommes réunis entre amis pour transformer le restant de notre monnaie en un joyeux « gueuleton » préférant garder pour nous ce qui le lendemain pouvait tomber entre les mains des Boches ou ne plus nous servir.
Le 8 mai on fait les derniers préparatifs. Nous touchons trois jours de vivres, trois cents cartouches, et des carrés de toile blanche à coudre dans le dos pour faciliter le repérage de notre artillerie pendant l'avance.
A 9 heures, nous nous couchons. Comment avons-nous passé les quelques heures qui nous séparaient du départ pour l'attaque? Bien peu ont dormi, je crois. Tous nous avons laissé errer notre esprit ; tous nous avons revécu le passé ; tous nous avons cherché à lire dans l'avenir, dans le « Demain ». Chacun savait que demain beaucoup d'entre nous seraient morts, beaucoup d'autres blessés, peut-être affreusement mutilés. Quel allait être notre sort, quel celui de nos camarades et amis ?
Mais chacun savait aussi que, puisque c'était notre tour, on allait « en mettre », et que la Légion qui n'avait été jusque là qu'à la peine, allait être aussi à l'honneur.
Le 9 mai, à deux heures du matin, départ pour la première ligne. Arrivée à 5 heures.
A 7 heures commence le bombardement.
Je n'essayerai pas de vous décrire ce bombardement et pourtant nous n'étions qu'en 1915. De 7 heures à 10 heures, sans une seconde d'interruption, tous les canons crachent à l'envie et ils sont nombreux ; tous les crapouillots lancent leurs torpilles, que nous nous faisons un jeu de suivre de l'oeil pour voir s'élever à leur point de chute un nuage de poussière entremêlé de poutres et de débris de corps.
Un effet inattendu de ce bombardement nous attend : nous nous endormons, bercés par le sifflement continu des 75, le susurrement ininterrompu des 155, le bourdonnement monotone des marmites.
De la part des Boches nulle réponse.
10 heures moins le quart. Nous nous levons. Chacun rajuste son ceinturon, vérifie son équipement, veille à ce que rien ne le gêne pendant l'assaut.
10 heures moins 5. Un commandement : « Baïonnette au canon ... » Les coeurs battent fort, très fort ; mais chacun cherche à se raidir contre une émotion bien justifiée.
Beaucoup voudraient dire une blague pour tromper l'émotion. Le mot souvent s'arrête dans la gorge.
10 heures. - Tous les canons se taisent à la même seconde, et à la même seconde cent clairons sonnent la charge, l'air sublime qui doit nous entraîner à l'assaut. Ah ... qu'elle est belle la sonnerie du clairon dans un moment pareil .... qu'il est entraînant sur le champ de bataille, cet air qui nous entraînait pourtant si peu sur le champ de manoeuvres.
Nous formons la deuxième vague d'assaut. Avec une anxiété indescriptible, nous attendons notre tour de sortir. Les Boches sont-ils écrasés sous cette avalanche de fer, ou vont-ils nous recevoir par le feu de leurs mitrailleuses meurtrières ? Telle était la question que tous se posaient.
En approchant de la sortie, je lève la tête. Quelle merveille. Nos hommes ont déjà dépassé la tranchée boche et tous sont alignés, tel
s des soldats de plomb.
Pas un vide dans les rangs. Un enthousiasme indescriptible nous transporte, et d'un bond nous avons franchi l'espace qui nous sépare de la tranchée boche.
Trois prisonniers nous y attendent, dont un gosse de 15 ans, les bras en l'air, les yeux hors de l'orbite, beuglant des « Kamarad, Kamarad »
.
Nous passons, cherchant à rattraper nos amis, à nous regrouper pour faire face aux Boches qui ne vont pas tarder à surgir. Ici, une vision digne d'un maître de pinceau. Notre lieutenant debout, la pipe à la bouche, une canne pour toute arme, avance et nous exhorte par des amicaux : « En avant, les enfants, en avant ».
Bientôt nous nous retrouvons, toute la Cie, et le capitaine en tête. Nous avançons sur une ligne, comme en manoeuvre.
Soit dit en passant, c'est à l'élan de mon escouade, caporal en tête, que je dois ma Croix de guerre.
Plusieurs fois, le capitaine est forcé de contenir cet élan pour maintenir l'alignement.
Heureusement, car des toits de la Targette et de Neuville-St-Vaast, des mitrailleuses nous saluent de leurs tac - tacs infernaux.
Nous arrivons ainsi à la côte 125, sur une route encaissée. Le capitaine nous y faisait arrêter pour protéger la droite de notre ligne d'attaque. Et c'est de là, pendant une heure, que nous aidions de notre feu nos camarades de la première vague, aux prises avec
les Boches.
Trois fois la fameuse côte 140 de la falaise de Vimy est prise, trois fois nos braves sont forcés de reculer, attendant en vain des renforts dont regorgent les villages de l'arrière.
Permettez-moi de rappeler ici le récit de cette attaque, tel qu'il fut publié par le Petit Parisien »
« LA CONQUETE DES OUVRAGES BLANCS »
« L'attaque ne rencontrait pas sur sa route des villages, mais débouchant du bois de Berthonval, elle avait en face d'elle d'abord une masse de bastions et de tranchées que nos troupes appelaient les « Ouvrages Blancs » parce que, creusée dans un sol crayeux, elle couronnait la crête d'un labyrinthe blanchâtre ; ensuite les organisations de la route d'Arras à Béthune ; enfin, les pentes retranchées de la falaise de Vimy, dominant de plus de 30 mètres la plaine de Berthonval.
L'attaque se déclencha à 10 heures. A 11 heures 30, nos troupes avaient parcouru, sous le feu, plus de 4 kilomètres, et s'engageaient sur les hauteurs.
Ce que fut cet assaut, ceux-là seuls peuvent le comprendre qui l'ont vu se développer, et les mots leur manquent pour le décrire.
Deux régiments (les nôtres), sont sortis à 10 heures des tranchées de Berthonval .
L'artillerie, particulièrement efficace, leur a ouvert la route. Les fils de fer sont détruits, mais beaucoup d'abris sont intacts avec leurs mitrailleuses.
La ligne avance partout. Elle bondit, s'incline, disparaît un moment, reparaît dépasse les tranchées où l'ennemi tient encore et continue à tirer.
Cependant, en haut sur la crête, d'autres Boches nous avaient vus. Bientôt les balles de deux mitrailleuses nous sifflaient aux oreilles. Je ne pourrai vous dire l'impression désagréable que produisait ce sifflement qui nous frôlait, et contre lequel rien ne nous protégeait.
Heureusement l'ordre arrive de rentrer sur la route et nous nous faufilons en vitesse, non sans avoir perdu cinq des nôtres. Mais le Boche est tenace. Bientôt ils reviennent, plus nombreux, pour nous attaquer de flanc. La 3me et 4me section, dont je suis, reçoivent l'ordre de se placer face à droite et en arrière des deux premières sections. Il est environ deux heures de l'après-midi.
En qualité de 1er caporal de la 2me section, je commence le mouvement ; j'avance en rampant, quand tout à coup un shrapnel éclate au-dessus de moi. Au même instant je ressens un choc très vif au côté gauche ; je défais mes vêtements, je regarde : une balle de shrapnel m'avait frôlé et brûlé la peau sur une longueur de 10 centimètres.
Heureux de l'avoir échappé belle, je referme mes vêtements, et je me remets en route, m'appuyant sur les coudes et les genoux pour ramper
.
Un autre coup de canon, une autre explosion de shrapnel. Au même moment, je reçois un coup dans le dos, effroyable, m'enfonçant dans la terre de tout mon corps ? Une tête d'obus, la fusée m'avait touché dans le dos, juste en dessous de l'omoplate droit. Je vomis le sang à flots. Croyant le poumon traversé, je me vis perdu. Après une minute de regrets, regrets de quitter mes parents, dans une angoisse cruelle depuis mon engagement, regrets de quitter cette terre où je laissais encore tant d'espoirs, je reste étendu, les yeux fixes, attendant la Mort, curieux de savoir comment allait se faire la transition entre ce monde et un autre : la grande Enigme.
Mais bientôt, ne perdant pas connaissance, je reprends espoir et avec l'espoir revient l'esprit de conservation.
J'étais couché entre deux légionnaires occupés à creuser leur abri individuel. Je m'adresse à l'un d'eux pour me faire panser. Ne voyant pas de trou dans ma capote, il ne peut pas croire à ma blessure. Mon insistance le décide à couper mes vêtements. Cette fois-ci, voyant le trou, il s'écrie : « Je ne peux pas vous panser, caporal, le trou est beaucoup trop grand pour le paquet de pansement ». J'insiste, mais en vain.
A ce moment, une panique se produit parmi les hommes de la 3me et 4me section, due soit disant à un cri mal interprété d'un sous-officier. Beaucoup, dont mes deux voisins, se sauvent à une centaine de mètres de là. Jugez de mon effroi. Je vois déjà la 1ère et la 2me section obligées de se replier ; je me vois placé entre deux feux, ou, pis encore, fait prisonnier.
Aussi reçois-je une telle secousse nerveuse que tous mes membres en tremblent ; je me rends compte que je peux encore bouger et aussitôt je me mets à ramper en arrière, enfonçant la pointe du pied dans le sol et me tirant ensuite en arrière. Bientôt je rencontre un camarade, resté à son poste, et qui me panse tout en me conseillant de rentrer le plus vite possible dans nos lignes. Je continue à ramper, obligé souvent de faire un détour pour éviter des morts, ne m'arrêtant que quand l'effort soutenu me fait cracher le sang.
Vers 5 heures, j'avais avancé peut-être de 500 mètres et je me croyais déjà sauvé, les balles tombant moins dru grâce à la configuration du terrain.
Tout à coup, un obus français, de 155, je suppose, éclate au-dessus de moi. Vous dire mon effroi, vous dire la dépression morale causée par ce nouveau danger, je ne le saurais. Me voilà presque sauvé des Boches, et dans quelques instants, sans doute, je sauterai par un obus français.
Trois fois le même canon tire, trois fois je sens le souffle de l'explosion ; la quatrième fois, je reçois un petit éclat dans le bras ; le cinquième obus entre d'un bruit sourd dans le sol, sans éclater ; le sixième enfin file au loin.
Je respire et, avec une nouvelle ardeur, je me remets à ramper.
Mais la nuit tombait et je ne savais quelle direction prendre pour rentrer dans nos lignes, car le matin nous avions marché tellement vite qu'il avait été impossible de se répéter.
J'essaie de ramper sur les genoux, mais la douleur m'en empêche. Péniblement je me dresse et, tenant d'une main mon pansement qui glisse, je marche doucement.
Bientôt je vois des lueurs dans toutes les directions? Je crois distinguer des formes humaines.
Dans l'espoir de retrouver les nôtres, j'avance, mais à mesure que je m'approche, les lueurs s'éloignent. Pendant une heure peut-être, une heure qui me semblait une éternité, je m'avance ainsi, essayant de m'approcher de tous les feux que je vois, mais tous
s'éloignent à mesure.
Tout à coup, une idée me surgit ; terrible ; ces feux sont le jeu d'une hallucination; ces formes humaines sont nées dans mon imagination ; je serais devenu fou .... Les larmes me perlaient aux yeux devant cette situation effroyable et je ne savais s'il ne fallait m'abandonner à la fatalité.
Mais je repris espoir. Des fusées montèrent de toute part : fusées blanches, fusées boches. Tout à coup une fusée rougeâtre, fusée française. Je me dirige vers elle, et j'aperçois bientôt une rouge. Je fais un pas. Mais je n'avais pas vu le talus et je tombe d'une hauteur de trois mètres, roulant dans le fossé, sans mal, heureusement. Je me relève et je m'arrête sur la route. Faut-il la suivre et dans quelle direction, pour ne pas tomber entre les mains des Boches ?
Dans le doute, on s'abstient.
Je regrimpe le talus et lentement, prudemment, j'avance. O bonheur, je perçois des voix. Boches ou Français? Je me couche, je rampe dans la direction du bruit,quand j'entends: « 3me section à moi ». D'un bond je suis près d'eux, des tirailleurs algériens. Une
sentinelle veut m'arrêter. Je passe et je cours, malgré ma douleur, pour demander à un officier la ferme de Berthonval, notre poste de secours.
Le lieutenant me donne la direction, mais dans la nuit, pas un repère.
Je ne suis pas plus avancé, quand je vois les tirailleurs se mettre en route. Je les suis, croyant qu'ils revenaient d'une relève. Mais, arrivés sur la route, ils se mettent en ligne de combat et ouvrent le feu. Aux premiers coups, un officier est blessé.
Le major s'avance vers quatre brancardiers qui chargent l'officier et se dirigent vers l'arrière.
Cette fois-ci je suis sur la bonne voie. J'emboîte le pas aux brancardiers que je cherche à questionner; mais aucun d'eux ne parle le français.
Je suis donc, pendant une heure peut-être, quand nous arrivons à un dépôt de paille où se tiennent quelques territoriaux.
Enfin des Français qui me renseignent. J'apprends que j'ai encore 4 kilomètres à faire, dans la direction de l'ennemi, pour retrouver mon poste de secours.
J'hésite devant le chemin à parcourir; mais je savais que ma blessure demandait des soins immédiats.
Je me remets donc en route, réveillant sur mon chemin des artilleurs, pour éviter de m'égarer. Heureusement je rencontre deux camarades de Compagnie non blessés, qui me soutiennent, m'aidant à passer les tranchées et réseaux de fils de fer des troisièmes
lignes.
A minuit, j'arrive enfin au poste. Le major se lève, me coupe tous mes sous-vêtements raides de sang, me fait un pansement sérieux et je m'en vais chercher un abri pour la nuit, abri que je trouve dans une grange. 300 blessés dormaient là, où il y avait de la place pour 50 peut-être. Et cependant je n'avais jamais si bien dormi.
A sept heures, on nous réveille. Les Boches bombardent la ferme. Nous nous faufilons au dehors. Je retrouve la Légion qui se rassemble.
Je revois mon capitaine qui me promet une récompense ; je revois quelques officiers , sous-officiers, quelques amis. Ils restaient 80 sur 250.
Je prends le boyau d'évacuation. En route je croise un défilé de prisonniers. 3000 peut- être, la cueillette de la Légion. Ils n'étaient pas fiers les gars. Quelques-uns pourtant n'avaient pas perdu leur air arrogant. Je vois encore un grand diable, lunettes en or, fumant un gros cigare pendant le défilé. Nos soldats, dont beaucoup d'arabes, les regardaient passer. Des jurons partaient; les yeux étincelaient, et le Boche au cigare aurait probablement passé un mauvais quart d'heure, le dernier sans doute, si les gendarmes n'avaient été là.
Je continue ma route jusqu'au mont St-Eloi. Là, une auto me prend pour l'ambulance d'Acq où je reçois, après lavage, un pansement sérieux avec injection antitétanique.
Le lendemain je me dirige vers la gare d'Aubigny, à 6 kilomètres de là; car tous ceux qui pouvaient marcher étaient forcés d'aller à pied
.
En route, je faiblis, je me couche dans un pré. Un parc de ravitaillement était tout proche. Les hommes me voient, me questionnent, m'offrent des friandises. L'un d'eux, plus sensé que l'Administration, attelle une des voitures dont le parc regorgeait, et me conduit à la gare d'Aubigny, où attendait le train.
Le 11 mai, vers 2 heures, nous sommes partis, et le 14, dans la nuit, je suis arrivé à l'Hôpital de Perros-Guirec (Côtes-du-Nord).
Je passais là 3 mois des plus agréables, au bord de la mer.
Après un mois de convalescence, je rentrai au dépôt de Lyon, où je reçus, le 25 novembre 1915, l'avis de ma Naturalisation Française .
Déclaré temporairement inapte à faire campagne, j'ai été rappelé à mon usine, travaillant pour la Défense Nationale. Voilà, Mesdames, Messieurs mes souvenirs de guerre à ce jour.
Je n'ai qu'un court séjour au front, mais qui m'a permis de verser mon sang pour la noble France, défenseur, dans l'histoire, du Droit et de la Liberté.
C'est ce sang versé qui me vaut, je crois, de pouvoir me considérer aujourd'hui comme un membre de la grande Famille Française.
Français de coeur parce que Luxembourgeois.
Français de sang pour avoir versé ma part dans les plaines d'Arras.
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Annotations sur la provenance et l’acheminement des
sources.
Le présent récit de guerre fut rédigé par Henri Dieschburg lui-même pendant sa période de convalescence. Il s’en est servi pour tenir un certain nombre de conférences dans le cadre du Comité Franco-Luxembourgeois.
Cette activité eut lieu durant période où, après avoir été déclaré inapte à faire campagne, il travaillait pour la Défense Nationale auprès de son ancien employeur la Compagnie Générale d’Electricité, au 54, rue de la Boétie à Paris.
Après son décès, le manuscrit du récit fut remis avec les autres documents (discours prononcés lors des funérailles à Paris en octobre 1918) à sa famille à Echternach (Luxembourg). Ce fut Hélène Dieschburg, sœur aînée de Henri, qui jusqu’à sa mort en 1976 gardait soigneusement les souvenirs de son frère.
Dans la suite, ce fut Henry Reinert, neveu de Henri et Hélène Dieschburg, qui reprit l’ensemble de la documentation sur son oncle tout en procédant à la digitalisation des documents dactylographiés.
Après le décès de Henry Reinert en 2009, ces documents digitalisés parvinrent, ensemble avec l’original de la Citation à l’Ordre du Corps d’Armée(document du 23 juin 1915), au soussigné Ernest Reiter, époux de l’une des deux nièces de Henri Dieschburg.
A l’occasion de la commémoration du centième anniversaire de la « Grande Guerre », Ernest Reiter prit soin de mettre l’héritage de son beau-frère sous une forme appropriée en vue de sa publication dans le présent portail européen europeana 1914-1918.