L'adjudant-chef Mader a le sommeil lourd. Son regard foudroie l'insolent qui a osé le réveiller.
Mader est l'une des célébrités du Régiment de Marche de la Légion étrangère.
Outre le fait qu'il a mauvais caractère,tout le monde s'accorde à lui reconnaître son courage et une chance hors du commun.
Pour l'instant, il est le seul chef de section encore valide. Tous ont été tués ou blessés la veille.
Ne demeure que le capitaine de Tscharner, rentré de sa convalescence.
"Qu'est ce que tu veux ?"
Bangerter met rapidement son chef au courant de la situation,et ajoute:
"Ils vont tous se faire descendre".
Mader comprend. Son regard balaie le panorama. Il hoche la tête,un mauvais sourire étire ses lèvres,fait vibrer ses grosses moustaches.
"Tu fas foir,che fais leur montrer!"
En douze ans de Légion,Mader n'a pas perdu son accent allemand. Car il est allemand. Il y a longtemps,il a tué l'adjudant de son bataillon wurtenbergeois. Puis il s'est enfui. Il a été recueilli par la Légion et,depuis,il la sert de son mieux.
Mader a rameuté les légionnaires les plus proches,une dizaine en tout. Il leur fait bourrer leurs musettes de grenades :
"Suivez moi!, lance-t-il."
Il prend le pas de course et débouche bientôt dans le dos des Allemands qui se préparent à massacrer la compagnie du 168ème. Quelques grenades bien envoyées les mettent en déroute, puis Mader se porte à la rencontre des Français.
"Nous vous devons une fière chandelle",disent les biffins.
Mader sourit: " Fous m'offrirez un cigare plus tard. Maintenant il faut s'occuper des autres".
Les «autres», ce sont les canons de 210 qui se trouvent en retrait. Mader a décidé qu'il allait les neutraliser. Ses légionnaires sur les talons,il galope dans le boyau, remonte les pentes du ravin.
Derrière lui, le capitaine de Taschner a compris ce qu'essaie de tenter son adjudant-chef. Il fait appuyer la progression par une compagnie du 7ème tirailleurs qui vient d'arriver dans le boyau, puis Mader et ses légionnaires débouchent, tels des démons,dans la clairière aux canons.
Quelques grenades dans les blockhaus où se reposent les artilleurs, quelques grenades dans les abris des saxons.
Les français ne sont plus qu'une dizaine, leurs adversaires six ou huit fois plus nombreux. Mais rien n'arrête Mader. Grenades,fusillades, il mène un train d'enfer.
Puis en allemand, il crie: "Rendez-vous ! Votre résistance ne sert à rien !"
Quelques saxons obéissent et sortent, les mains sur la tête. D'autres s'enfuient ! Les six canons sont remis au dernier tirailleur arrivé à point.
Mader, reçoit,de la part de la 6è compagnie un accueil délirant.
"Il fallait un vieux légionnaire comme toi pour réaliser ce fait d'armes", lui dit son capitaine. "Sauver du désastre une compagnie française, capturer une batterie de canons et mettre en déroute tout une unité ennemie ! ...et gagner La Légion d'honneur!"