Ah cher Christian… j’eusse aimé assister à cette scène… non pour me gausser de votre commun embarras, mais pour tenter de trouver, par un trait d’humour, un bon mot… le moyen de vous sortir du trou à l’insondable profondeur dans lequel vous auriez sans doute aimé pouvoir vous cacher à ce moment-là, moment de grande solitude… même à deux.
Ton chef de l’époque n’a pas voulu humilier ses officiers, de quelque extraction qu’ils fussent, par l’emploi d’un juste substantif, dans un langage auquel il était plus habitué que toi et ton camarade. Lui aussi a agi avec le naturel qui lui est propre.
Ton « Momologue » me fait penser à beaucoup de nos politiciens et intellectuels, le directeur de Sciences-Po par exemple, qui pensent qu’en abolissant les notes scolaires, en supprimant les difficultés des épreuves de concours d’admission à l’enseignement supérieur, en déroulant de démagogiques tapis rouges à certaines catégories de la population, transformeront ipso facto, comme par enchantement, la nature irréversible de la majorité d’entre elles. Seuls les meilleurs émergeront du magma, non par les facilités accordées mais par leur valeur intrinsèque ! C’est sans doute ton cas et celui du camarade que tu évoques. Ces politiciens-là se révèlent des anthropologues de pacotille, car comme le disait si plaisamment Jean Yanne « Les hommes naissent égaux en droits… après, ils se démerdent ! »
AM
« Chassez le naturel, il revient au galop »
"Nous étions, mon camarade et moi, officiers ayant porté le képi blanc, invités ce jour-là à partager le déjeuner du chef de corps. Il n’était pas question que nous manquions ce genre de rendez-vous aussi nous étions un peu en avance sur l’horaire.
Arrivés ensemble au cercle des officiers, où le colonel se trouvait déjà, il nous invita à le suivre dans les locaux qui lui étaient réservés.
Dans l’une des pièces agencée en vaste salon, le maître des lieux, plein d’aménité, tout en refermant la porte, nous invita à “nous asseoir sur les bergères”. En une seconde le ciel s’écroula, mon camarade et moi, nous nous regardions d’un regard désespéré, nous nous efforçâmes néanmoins d’identifier ce que pouvaient bien être ces bergères parmi les sièges disposés avec goût dans le salon du chef. N’y parvenant pas, nous restâmes debout et nous gardons, aujourd’hui encore, le “souvenir amer de la bergère”. Il est vrai qu’à l’époque de cette anecdote, nous ne connaissions de la bergère que celle qui garde des moutons…
Nous avions cru nous affranchir, par le fait d’être officiers, de notre classe sociale d’origine ; elle nous rappelait à l’ordre - ou à son bon souvenir - faute de ne pas savoir discerner une bergère d’un voltaire, un crapaud d’une chauffeuse ou d’un cabriolet.
Violence de la politesse, racisme des bonnes manières, exquise férocité de l’ordre social, une révélation se faisait jour à nos yeux, celle du savoir-vivre bourgeois qui est l’art de remettre chacun à sa place avec un savoir-faire bienveillant et hospitalier.
Décidément, la société veillera toujours à la reconnaissance des minorités jusque dans ses institutions les plus traditionnelles, mais “chassez le naturel, il revient au galop”. Qui pourrait ne pas vouloir d’un monde où l’offense et l’humiliation volontaires ou non, maladroites ou souhaitées seraient abolies ? Mais il n’y aurait probablement plus de place pour l’homme irréductible, celui qui résiste au socio-culturel et qui ne souhaite pas obligatoirement, pour son élévation sociale, élire domicile dans les bergères de la bonne société.
Nous en avons retenu la leçon !
CM