L’une des quatre statues du Monument :
Il était arrivé au 1er étranger il y a juste vingt ans. Quel chemin parcouru depuis ! Au propre comme au figuré. En vingt ans, le jeune capitaine au dossier déjà lourd de manifestations d’un caractère difficile, a participé brillamment à l’explosion coloniale de l’armée française aux quatre coins du monde, attachant son nom au souvenir des faits d’armes qui ont illustré la Légion en Afrique Noire, en Afrique du Nord, à Madagascar et au Tonkin. Sa personnalité abrupte le destinait tout particulièrement à commander une troupe aussi différente, dont la disponibilité et le dévouement permettaient de tout exiger et de tout obtenir.
Il ne faudrait pourtant pas croire à la lecture de ce rapide survol des vingt ans privilégiés de cette carrière exemplaire, que le colonel Brundsaux fut la seule figure remarquable parmi les cadres qui ont donné aux régiments étrangers la réputation justifiée qui faisait rechercher leur commandement aux généraux les plus célèbres et les plus glorieux de la geste de l’Empire.
Bien d’autres ont peiné sous les climats déprimants traversé des brousses impénétrées, connu fatigues, fièvres, sécheresses, marches harassantes, travaux sans mesure avec les moyens dérisoires qui étaient les leurs, affronté des faunes inconnues et des peuplades souvent fanatisées… Avec la seule satisfaction d’être fidèles au service de la Légion étrangère. Combien d’entre eux, à la fin d’un assaut meurtrier ou dans la surprise tragique d’une embuscade, sont tombés au milieu de leurs hommes, ou, comme le capitaine de Borelli assiégé dans Thuyen-Quang en 1885, ont dû leur vie au sacrifice d’un de leurs légionnaires mort à leur place…
Malgré tout, l’époque coloniale d’un Brundsaux reste le type même de celles de tous ces anonymes, et même son départ de la Légion ne l’y fit pas oublier.
Général de brigade en 1912, gouverneur militaire de la Corse (où, passager discret et économique d’un autobus public entre Ghisonaccia et Bonifacio, il fut aggressé à coups de pierres par quelques irrédentistes - déjà – qu’il se refusa d’ailleurs à faire poursuivre), il termina sa carrière active en 1916, à la tête de la 136ème Brigade d’infanterie sur le front de France. Il avait 16 ans.
Le 3à août 1929, à Paris, une Commission de réforme de cinq membres, après avoir examiné et ausculté ce sec et grand vieillard de 74 ans, décida qu’il n’avait pas droit à 10% de pension d’invalidité. Malgré le paludisme qui l’affectait encore, et les séquelles des horions et des fatigues de quarante-deux ans de service, vingt et un ans de campagnes et neuf guerres !
A peine plus d’un an après la mort du général Brundsaux, survenue le 2 janvier 1930 à Bois-Colombes, la Légion alors aux ordres du général Rollet fêtait le centenaire de sa création, à Sidi-Bel-Abbès. Des milliers d’invités, obscurs ou illustres, donnèrent à cet anniversaire un retentissement mondial.
Le clou des festivités fut l’inauguration du monument aux morts, que Rollet avait imaginé de faire ériger au cœur du Quartier Viénot, et dont l’image a depuis fait le tour du monde : il représente le globe terrestre, sur lequel s’inscrivent en or les territoires où la Légion s’est illustrée au cours de son premier centenaire : aux quatre coins du monument cerclé de lauriers, quatre statues de légionnaires montent une garde attentive. Piété du souvenir, l’une d’entre elles représente un colonial prêt à marcher ; casque, grande capote, havresac et cartouchières de poitrine, c’est le portrait exact du général Brundsaux, droit, fier, barbe déployée, modèle immuable de l’officier de Légion.
André Gandelin