De nombreuses histoires continuent de courir en Italie, en Corse et en Belgique au sujet de ce mystérieux prince Pierre connu essentiellement pour avoir défrayé La chronique en janvier 1870... Cependant, l'homme qu’on surnomme: Le "Prince noir" ou "Pierre le chien", ne se résume pas à la caricature que l'on en fait. Affublé de qualificatifs d'instable, d'emporté, de violent, voire de brutal, accusé d'être toujours armé par les chroniqueurs, impliqué à plusieurs reprises dans des faits divers retentis-sants, le prince Pierre-Napoléon Bonaparte a gardé une réputation sulfureuse.
Il apparaît avant tout comme un homme libre, un aventurier en décalage avec son temps, et certai-nement à la manière d'un personnage de roman, qui suscita bien des interrogations à son sujet, ali-mentant pour longtemps encore la légende... Si Napoléon 1er naquit sous une bonne étoile, un 15 août 1769, jour de l'Assomption et fête nationale en Corse, et dans la France d'autrefois, il n'en sera pas de même pour son neveu, Pierre Bonaparte, qui naîtra le 11 octobre 1815, quelques jours seulement avant que son oncle l'Empereur arrive pour son dernier exil sur l'île de Sainte-Hélène, dans un monde hostile à sa famille...
Fils de Lucien Bonaparte, frère puîné de Napoléon Bonaparte et d'Alexandrine Jacob Bleschamp, veuve Jouberthon, Pierre-Napoléon Bonaparte est né à Rome, où ses parents étaient en exil. Il est décédé à Versailles, le 7 avril 1881. Cinquième garçon d'une nombreuse fratrie (sept filles et cinq garçons), il a passé son enfance dans le domaine de Canino que Lucien Bonaparte avait acheté au Pape Pie VII en 1806. Ce domaine était situé dans le Latium, à une soixantaine de kilomètres de Rome, dans une région sauvage, inhospitalière, insalubre et infestée de bandits. Malgré son caractère indépendant, le jeune Pierre-Napoléon appréciait la compagnie du personnel employé aux champs du domaine et surtout celle des bergers, pour la plupart d'origine corse, dont le rôle était de s'occuper des troupeaux, mais aussi de défendre la propriété et leurs maîtres contre les incursions des brigands. Pour rem-plir leur mission, ces bergers étaient armés de fusils de chasse et accompagnés de gros chiens dressés à garder les troupeaux et les personnes. Pierre-Napoléon aimait se trouver parmi eux et écouter leurs histoires de chasse et de bandits corses. Au contact de ces hommes rudes et simples, il apprit à aimer la nature et les exercices physiques. Vigoureux et solidement charpenté, il les accompagnait souvent dans leurs rondes et leurs battues. Sans doute influencé par la fréquentation de ces bergers corses, mais également en raison du cli-mat d'insécurité dans lequel il évoluait (en 1817, son père avait failli être enlevé dans son château par le bandit Decasaris et lui-même, à l'âge de 14 ans, avait échappé à une embus-cade tendue par des brigands dans la forêt de Canino), dès son plus jeune âge et avec l'assen-timent de ses parents, Pierre-Napoléon prit l'habitude de ne se déplacer qu'armé. Ce qui lui sera plus tard reproché!
En 1831, à l'âge de 16 ans, il se passionne pour la cause des carbonari italiens qui s'opposent à l'autorité du Pape.
Il rejoint dans l'insurrection des Romagnes ses deux cousins germains (Napoléon-Louis et Louis-Napoléon) qui ont déjà rallié le mouvement. Profitant de l'absence de son père, avec l'un de ses frères, il quitte le domicile familial. Lucien Bonaparte, qui ne souhaite pas nuire au Saint-Siège, le fait arrêter par la police pontificale. Au bout de six mois de prison, il s'évade mais échoue dans sa tentative de rejoindre les révolutionnaires toscans.
En 1832, interdit de séjour dans les États pontificaux, Pierre Napoléon s'embarque pour les Etats-Unis où il est hébergé pat son oncle, Joseph Bonaparte, l'ancien Roi d'Espagne. Six mois après, il est en Colombie dans les rangs du mouvement de révolte du général Santan-der. Il prend part à plusieurs batailles au cours desquelles il se distingue par ses qualités de cavalier, sa bravoure et son ardeur au combat. Le général Santander l'apprécie et le prend comme aide de camp avec le grade de commandant. Il n'a que 17 ans!
La guerre terminée, il parcourt en touriste la cordillère des Andes mais, victime de fièvres, il tombe malade. Affaibli, il rentre en Italie où il est arrêté et interné au château Saint-Ange. Gracié par le Pape Grégoire XVI, il est autorisé à retourner à Canino, ce qu'il fait en mai 1833. Très rapidement, son comportement suscite l'attention et l'hostilité de la police pontificale.
Le 20 avril 1836, alors qu'il participe à une partie de chasse avec son frère Antoine, ils rencontrent le fameux bandit Saltamachione, auteur de plusieurs crimes et recherché par la police. Ils décident de l'arrêter et de le remettre aux autorités Mais l'arrestation est mouve-mentée et Antoine Bonaparte blesse le brigand d'un coup de fusil. Au lieu de les féliciter, la police rédige un rapport malveillant à leur encontre et le Pape décide de les faire arrêter.
Quinze jours après, pour procéder à l'arrestation de Pierre-Napoléon, la police a recours à un subterfuge. Pensant être victime d'un guet-apens, il se défend et blesse mortellement un lieutenant de police avec son couteau de chasse. Blessé, il est maîtrisé et incarcéré à la pri-son de Rome. Le 26 septembre 1836, il est condamné à mort. Après neuf mois de détention, il est une nouvelle fois gracié par le Pape; mais il doit quitter Canino.
Il retourne Etats-Unis où sa famille le reçoit assez froidement. Il se brouille avec son cousin Louis-Napoléon, (le futur Napoléon III) après avoir tué un passant dans une rue de New-York, suite à une bagarre. Puis il part à Londres et offre vainement ses services au Tsar de Russie, au Khédive d'Égypte, à l'Espagne, et à d'autres pays.
Il décide alors de se rendre dans les îles ioniennes, à Corfou, où sévissent aussi des bandes armées de sinistre réputation. Au cours d'une partie de chasse sur les côtes alba-naises, Pierre-Napoléon et ses compagnons sont attaqués par un groupe armé. Alors que ses amis sont prêts à se rendre, il refuse d'être pris comme otage. Il saisit son fusil et abat deux des agresseurs, permettant ainsi au groupe de chasseurs de rejoindre leurs embarcations et de s'enfuir.
À son retour à Corfou, les autorités informent Pierre-Napoléon que les complices des bandits albanais envisagent de venger leurs acolytes et lui conseillent de quitter l'île. Il re-tourne donc en Angleterre; il rencontre une jeune française, Rose Hesnard, qui sera sa com-pagne pendant quatorze ans. Avec elle, il quitte l'Angleterre pour s'installer dans les Ar-dennes belges, à la ferme de Mohimont, à Daverdisse.
Le 26 février 1848, dès le début de la révolution qui chassera le Roi Louis-Philippe, au risque de se faire arrêter, Pierre-Napoléon Bonaparte est à Paris. Il se met à la disposition du Gouvernement provisoire et se lie avec un de ses membres, Louis Blanc (dont le père était au service de Joseph Bonaparte en Espagne).
C'est ce dernier qui lui annonce, le 15 avril 1848, sa nomination au grade de Comman-dant à titre étrangers dans la Légion étrangère.
Cette nomination est assortie d'un congé illimité. Pierre-Napoléon en profite pour participer aux évènements parisiens et à la vie politique française.
Le 23 avril 1848, il se présente aux élections législatives et est élu dans deux départe-ments, l'Ardèche et la Corse. Il choisit de représenter la Corse. Cette élection lui permet de ne pas rejoindre immédiatement son affectation à la Légion étrangère. Le 12 juin 1848, il monte à la tribune de l'Assemblée pour défendre son cousin, Louis-Napoléon, menacé d'invalidation de son mandat de député et de bannissement. Son intervention sera déterminante. Sans elle, peut-être que Louis-Napoléon n'aurait jamais été Président de la Répu-blique et plus tard Empereur des Français.
Le 23 juin 1848, aux côtés de Lamartine, avec qui il s'est lié d'amitié, il participe à la prise de la très importante barricade du Faubourg du Temple (une balle tuera son cheval sous lui). La prise de cette barricade met pratiquement fin à l'insurrection qui se termine le 26 juin 1848.
Louis-Napoléon Bonaparte, devenu Président de la république le 10 décembre 1848, et ses astres se méfient néanmoins de Pierre-Napoléon Bonaparte et ils l'incitent à rejoindre son affectation à la Légion étrangère, au 2èmeRégiment étranger en Algérie.
Lettre de Louis Blanc. RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.
LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ.
Palais national du Luxembourg.
À Pierre-Napoléon Bonaparte. Le 15 avril 1848.
"Citoyen,
C'est avec un plaisir extrême que je vous fais part de la décision prise à votre égard par le Gouvernement provisoire. Nous venons de vous nommer chef de bataillon dans la Légion étrangère, bien convaincus que votre intention formelle est de mettre au service exclusif de la République les fonctions confiées à votre loyauté par le gouvernement républicain.
Faire servir à l'établissement, à la consolidation, au triomphe complet de la Liberté, le prestige attaché au grand nom de Napoléon, c'est se montrer digne de porter un tel nom et bien mériter de la patrie. Le temps des prétentions dynastiques est passé à jamais. La glo-rieuse révolution qui vient de s'accomplir a définitivement coupé court au régime de la royauté et de tout ce qui lui ressemble.
C'est parce qu'il vous sait pénétrer de cette conviction, imbu de ces sentiments, que le gouvernement provisoire vient de vous donner une marque de confiance qu'en ma qualité de Corse je suis heureux de vous annoncer. Salut et fraternité".
LOUIS BLANC, Membre du Gouvernement provisoire.
Le chef de bataillon Pierre Napoléon Bonaparte débarque en Algérie le 9 octobre 1849. Quinze jours plus tard, à Zaatcha, dans le Sud algérien, à la tête d'un détachement de 400 hommes, dont 200 légionnaires du 2ème Régiment étranger, il se bat héroïquement et met en déroute un fort détachement rebelle. Son comportement au feu lui vaut les chaleureuses féli-citations de son chef, le colonel Carbuccia, commandant le 2ème Régiment étranger, ainsi que celles du Général Herbillon, commandant le secteur.
Courrier de Pierre Napoléon Bonaparte, Paris, le 17 mars 1849,
"Citoyens Représentants du peuple,
Le lendemain de Février, accouru de l'exil pour offrir mes services à mon pays, j'ai ac-cepté avec une profonde reconnaissance, des mains des fondateurs de la République, le grade de chef de bataillon au 1er Régiment de la Légion étrangère.
J'étais autorisé à le regarder comme un état transitoire devant amener ma mutation dans un régiment français (...)
La Légion étrangère, je le sais, a glorieusement conquis une haute réputation militaire. Je m'honorerai toujours d'avoir appartenu au corps de ses braves officiers; mais peut-être n'est-ce pas une prétention exorbitante de ma part que d'espérer d'être enfin admis autre-ment qu'à titre d'officier étranger.
Je m'étais dit qu'un neveu de notre grand capitaine, un fils de Lucien Bonaparte, un proscrit des Bourbons, n'avait pas à craindre que le coup dont une loi de proscription l'a frappé ricochât, pour l'atteindre encore, sur le terrain de la République.
L'élévation d'un autre neveu de l'empereur Napoléon à la magistrature suprême de l'État semblait m'assurer de plus en plus qu'on ne me refuserait pas une simple mutation qui ne ferait de tort à personne, puisque mon emploi actuel peut être rempli par un chef de batail-lon au titre français.
Pour sortir de la position anormale où je me trouve, je fais un respectueux appel, ci-toyens représentants, aux mandataires du Peuple Souverain. Je demande de passer, avec mon grade, dans un de nos régiments français d'infanterie; et, quelle que soit votre décision, croyez que si jamais la République était attaquée, je me réserve bien de combattre pour elle, fût-ce même comme simple volontaire. Salut et fraternité"
Pierre-Napoléon Bonaparte.
Bataille de Zaatcha
À sa création, le 2ème Régiment étranger est immédiatement engagé dans la lutte contre les troupes d'Abd-El-Kader en Algérie. Durant plusieurs années, les légionnaires mènent de front, la campagne militaire de pacification et la mise en valeur du pays (construction de route, de ponts, de puits...). En 1849, le régiment avec à sa tête te colonel Carbuccia parti-cipe à la bataille de Zaatcha dans le sud algérien, dernière poche de résistance à la colonisa-tion française. Le siège de la cité de Zaatcha à l'automne 1849 opposa les troupes françaises du général Émile Herbillon aux troupes algériennes du cheikh Bouzian décidé, au nom de la Guerre sainte, à chasser les Français.
Ne pouvant laisser sa crédibilité mise en cause au risque de voir tout le pays se soulever, les autorités françaises décident de déplacer plus de 7 000 hommes afin d'enlever ce ksar fortifié et âprement défendu. A cette époque, El-amir Abd Et-Kader s'est rendu aux forces françaises, le vent de la révolte commence à poindre. Les Aurès , tout proches au nord, ré-sistent aux troupes françaises et leur opposent une résistance tenace. Les autochtones sentent le pouvoir colonial fragile et la tentation est grande de vouloir renvoyer les Français. En mai 1849, le cheik Bouzian, prétextant la hausse de la taxe sur les palmiers-dattiers, harangue les populations. Il prétend avoir reçu un message divin pour chasser les nouveaux occupants.
Après une tentative d'enlèvement de Bouzian par un lieutenant des affaires arabes, le prédicateur proclame la Guerre sainte. Le 2ème Étranger, en tournée de police entre Batna et Sétif est détourné vers Zaatcha.
Le colonel Carbuccia arrive avec ses légionnaires, ainsi que le 3ème Bataillon d'Afrique le 16 juillet devant le ksar. Il est immédiatement attaqué et peine à repousser ses adversaires. Il décide de les poursuivre dans le village. Mais l'oasis se révèle être un dédale de murets et Zaatcha, entourée d'une muraille crénelée et d'un fossé rempli d'eau leur barre la route. Il demande alors des renforts.
Le 7 octobre, le général Herbillon arrive devant l'oasis avec un corps expéditionnaire fort de 4 000 hommes et du matériel de siège. Appuyé par l'artillerie, le 2ème Étranger, enlève alors un groupe de maisons au nord de la palmeraie. Mais l'occupation totale de l'oasis est toujours impossible. Les troupes françaises tentent alors la construction d'ouvrages de siège, afin de percer une brèche dans les murs du ksar. Le 20 octobre, les sapeurs donnent l'assaut appuyés et suivis par les légionnaires et le 43ème Régiment d'infanterie de ligne. C'est l'échec, les assaillants sont repoussés par des défenseurs bien protégés au prix de lourdes pertes. Pendant ce temps, les troupes, françaises repoussent sans cesse des colonnes de se-cours indigènes venues porter secours aux assiégés qui font désormais figure de héros.
Le 8 novembre, le colonel Canrobert arrive avec deux bataillons de zouaves. Le 12, ar-rive le 8ème Bataillon de chasseurs à pied, ce qui porte la garnison des assiégeants à 7 000 hommes. Mais les zouaves de Canrobert ont apporté avec eux le choléra et ce dernier fait désormais plus de morts que l'ennemi.
Le 24 novembre, les assiégés, profitant de l'effet de surprise assuré lors de la relève de la garde, effectuent une sortie. Les combattants berbères et les femmes du ksar se ruent dans les tranchées l'arme blanche. Les chasseurs à pied, renforcés par les tirailleurs du comman-dant Bourbaki les repoussent dans un sanglant corps à corps. Dans la nuit du 25 au 26 no-vembre, trois brèches sont ouvertes dans la muraille et le fossé partiellement comblé. A 7 heures du matin, trois cotonnes de 300 hommes chacune, aux ordres des colonels Canrobert, Barral et Lourmel donnent l'assaut simultanément pendant que les tirailleurs du comman-dant Bourbaki font diversion. L'assaut est terrible, les ruelles sont petites, encaissées et les défenseurs, remarquablement préparés. Les soldats français se rendent maîtres des terrasses puis, progressivement, prennent possession dès maisons, une à une au prix de lourdes pertes. A l'issue de la victoire, les premières tribus se présentent au général Herbillon pour faire leur soumission. Au cours de ce siège de 52 jours, l'armée d'Afrique a perdu plus de 2 000 hommes dont 600 sont morts du choléra.
Au bivouac sous Zaatcha, le 25 octobre 1849, rapport n°4 du chef de bataillon P.-N. Bonaparte, commandant le 5ème bataillon du 2ème Régiment étranger.
Mon colonel,
Chargé du commandement de deux cents hommes de la Légion, et de deux cents du 5ème d'infanterie légère d'Afrique, désignés pour abattre des palmiers et protéger ce travail, je me suis porté ce matin, à 8 heures, vers la position qui m'avait été indiquée par M. le général Herbillon, commandant en chef. Nous avons, en arrivant, occupé un mur faiblement crénelé par les Arabes, et de là nous les avons tenus en respect, tandis que nos travailleurs abat-taient avec une grande activité bon nombre de palmiers que j'évalue, au moins, à 250 hommes. Les Arabes finirent cependant par se concentrer au saillant formé par le mur avec le reste de notre ligne qui s'étendait jusqu'à la plaine. J'avais, à plusieurs reprises, chargé le capitaine Butet, du 3ème d'infanterie légère d'Afrique, de l'observation de ce point important, et il m'en avait répondu, lorsque ce brave et intelligent officier fut atteint d'un coup de feu. Un chasseur de son corps fut tué au même instant. Les Arabes se jetèrent sur le mur, limite de notre ligne, qu ils n'ont point franchi, malgré les diverses phases du combat. Ils étaient en grand nombre. Ils nous assaillirent avec une grêle de pierres qu'ils lançaient par-dessus le mur, et ils finirent par se montrer audacieusement à la crête, d'où ils firent feu de leurs fu-sils et de leurs pistolets. Nous les reçûmes à coups de fusil. Une réserve de 20 grenadiers de la Légion, sous la conduite du capitaine Nyko, vint, à ma voix, soutenir l'infanterie légère, et assurer la position meilleure, que nous occupâmes immédiatement dans un jardin encaissé, à environ 20 mètres du mur occupé d'abord, position d'où nous n'avons cessé de tenir l'ennemi à distance.
Le point d'appui de la droite de notre nouvelle ligne était, comme vous avez pu le voir, mon colonel, un petit mamelon où 8 à 10 grenadiers de votre régiment, électrisés par votre voix et l'exemple du brave sergent Smitters, héroïquement, tué dans cette affaire, ont si vail-lamment combattu.
Je vous rendis compte de l'utilité d'un renfort qui nous permît de ne pas suspendre l'abat-tage des palmiers, et ce fut alors que vous fîtes avancer les réserves dont le concours fut si efficace. Pendant ce temps, les grenadiers postés au mamelon susdit et l'infanterie légère d'Afrique, soutinrent, avec une rare bravoure, les attaques réitérées et acharnées des Arabes. Je ne dois pas oublier de vous dire la gratitude que nous devons à M. le comman-dant des zouaves qui, au plus fort de l'action, me donna, avec le lieutenant Sentupery, quinze hommes qui vinrent soutenir mes grenadiers. Tous ces braves soldats sont au-dessus de tout éloge. Je dois néanmoins vous signaler les intrépides capitaines Bidet et Touchet, du 5ème d'infanterie légère d'Afrique, blessés grièvement tous deux, et le capitaine Nyko, des grena-diers de la Légion, atteint d'une balle et d'une pierre à la tête. Nous avons, outre le sergent Smitters, 5 morts, dont un de la Légion, et 4 de l'infanterie légère d'Afrique. Les blessés, sans compter les 3 capitaines que j'ai eu l'honneur de vous signaler, sont au nombre de 20, dont 9 appartiennent à la Légion. Je joins ici l'état nominatif.
Sur l'ordre du général, que vous n'avez transmis vous-même, mon colonel, dans le jardin encaissé où nous combattions, soutenus par l'énergique et habile concours de M. le colonel de Barral à notre gauche, sur votre ordre, dis-je, la retraite s'est effectuée avec une grande régularité par la plaine, et elle était accomplie à midi.
Outre l'abattage des palmiers, notre opération peut être considérée comme étant une at-taque très vive sur Lichana, et, sans pouvoir évaluer exactement le mal que nous avons fait à l'ennemi, j'estime qu'il est très considérable et au moins décuple de celui qu'il nous a fait éprouver.
Veuillez agréer, je vous prie, mon colonel, l'expression de mon respect"
Le chef de bataillon temporaire du 3ème bataillon du 2èmeRégiment étranger, P.-N. Bona-parte.
Rapport n°5 du colonel Carbuccia, sous Zaatcha, le 25 octobre 1849, à M. le général Herbillon, commandant la cotonne expéditionnaire du Zab.
"Mon général,
Vous m'avez, ce matin, envoyé l'ordre, à la tranchée, par M. le capitaine d'état-major Regnault, de vous faire connaître les dispositions prises pour assurer la coupe des palmiers pendant la journée.
Je vous al fait répondre par lui que j'avais confié à M. le commandant Pierre Bonaparte, du 2ème Régiment de la Légion étrangère, la mission de procéder à cette opération impor-tante, à la tête de 400 hommes, dont 200 de la Légion et 200 du 3ème Bataillon d'Afrique
Ci joint, sur les événements importants accomplis dans cette journée, le rapport de cet officier supérieur, dont je suis heureux d'avoir à vous signaler la bravoure téméraire, et le coup d'œil militaire digne du nom qu'il porte. Atteint violemment d'un énorme pavé sur la poitrine, il est resté à son poste, et il a tué de sa main deux chefs arabes, au plus fort de la mêlée, aux applaudissements de la ligne de tirailleurs.
Lorsque M. le commandant Bonaparte m'a rendu compte des difficultés qu'il éprouvait à continuer son opération, je suis parti de la tranchée à la tête d'une troupe de soutien et après avoir reçu son rapport verbal, je vous ai fait demander un bataillon de renfort.
M. le commandant Bourbaki, du bataillon de tirailleurs de Constantine, est arrivé sans délai; une de ses compagnies a pris part au feu de la première ligne; le reste a été, sous vos yeux, placé en réserve, et lorsque les Arabes ont eu abandonné leur position pour rentrer à Lichana, nous avons effectué notre retraite, qui a été terminée à midi et effectuée avec le plus grand ordre, sans opposition de l'ennemi
Le mouvement a été facilité par votre ordre par le feu de deux obusiers amenés sur place par M. le colonel Paris et en personne.
La disposition prise par vous (en faisant coopérer la colonne de M. le colonel de Barral au mouvement de la journée) a été des plus utiles. Les troupes, sous les ordres directs de leur chef qui ne s'est pas épargné dans cette journée et que j'ai vu partout où il y avait du danger, ont empêché le commandant Bonaparte d'être débordé sur sa gauche, et lui ont per-mis de conserver aussi longtemps que vous l'avez voulu, des positions aussi difficiles.
Pendant ce temps-là, la sape de droite, gardée dans la tranchée par une compagnie de voltigeurs du 38ème, a été vivement assaillie par un nouveau contingent arrivé dans Zaatcha pendant le combat.
Les voltigeurs, avec sang-froid et énergie, ont attendu les Arabes à bout portant; ils en ont tué 5 et ont mis le reste en fuite.
La conduite des troupes a été admirable de dévouement et d'énergie, aujourd'hui, comme toujours, et elle continue à leur mériter l'estime et la reconnaissance de la France et de son président.
Veuillez agréer, mon général, l'hommage de mon respectueux dévouement".
Le colonel de 2ème régiment étranger, commandant la subdivision de batna, faisant fonc-tion de général de tranchée.
Signé: Carbuccia
À l'issue des combats de Zaatcha, considérant que sa présence à la légion n'est plus indispensable, Pierre Napoléon Bonaparte obtient du Gouverneur de l'Algérie l'autorisation de regagner la France pour participer à une session de l'Assemblée nationale. Il s'embarque à Philippeville pour Marseille le 8 novembre 1849. Son retour est vivement critiqué à la Chambre par ses collègues de l'opposition qui crient à la désertion. Pour se disculper, il ré-dige un rapport et publie un ouvrage intitulé "Un mois en Afrique".
Immobilisé par une fracture de la jambe, suite à une chute de cheval, Pierre Napoléon Bonaparte ne prend aucune part au coup d'état du 2 décembre 1851.
La brouille avec Napoléon III
Malgré ses idées démocratiques, par esprit de famille, il soutient son cousin, Louis Na-poléon Bonaparte qui ne lui sera pas reconnaissant pour autant. Il lui refuse toute intégration dans l'armée et tout emploi dans l'administration. Un autre élément contribuera à éloigner définitivement les deux cousins. La compagne de Pierre Napoléon, Rose Hesnard, décède en 1852. Pierre se console quelques mois plus tard et épouse secrètement Eléonore Justine Ruf-fin (qu'il surnomme Nina), âgée de 19 ans, fille d'un ouvrier fondeur de cuivre. Le mariage de son père Lucien avait causé un conflit avec Napoléon 1er. L'union de Pierre Napoléon en causera un autre avec Napoléon III, pour les mêmes raisons. L'Empereur interdira même à son cousin d'utiliser son deuxième prénom.
Son implication en Corse
En avril 1852, Pierre Napoléon, désappointé, part pour la Corse et achète un terrain à Lutzibeu, sur le territoire de Calenzana, à 10 km au sud de Calvi. Il y fait construire une maison de chasse, près des ruines d'une tour génoise, la Torra Mozza, qui domine la baie de Crovani. Il y aménage à la fin des travaux, en novembre 1852. Rapidement il est adopté par la population locale et noue des amitiés solides avec les notables de la région, et se livre en leur compagnie à sa passion de toujours, la chasse. Avec ses propres deniers, il fait cons-truire une fontaine publique. Grâce à sa générosité, les Calenzanais ont bénéficié parmi les premiers de l'île des bienfaits de l'eau potable. Calenzana est probablement la seule localité de France où une place publique porte le nom du Prince et où on peut y voir son buste. Lors des élections législatives de juin 1863, les habitants du canton votèrent massivement pour lui.
Mais Napoléon Ill s'oppose à sa candidature, empêchant son élection. En 1864, il accepte néanmoins la Présidence du Conseil Général de la Corse, mais quitte définitivement l'île peu après et retourne en Belgique.
En 1869, un conflit éclate entre Pierre Napoléon Bonaparte et deux journaux d'opposition au bonapartisme: La Revanche, créé par Louis Tommasini et La Marseillaise, dont le rédac-teur en chef est un aristocrate, le marquis de Rochefort-Luçay, dit Henri de Rochefort. Ces journaux publient des articles de plus en plus violents contre l'Empereur, son gouvernement et la famille Bonaparte. Les injures et les provocations pleuvent, les Bonaparte sont traînés dans la boue. Pierre Napoléon décide de demander réparation et provoque en duel Louis Tommasini et Henri de Rochefort.
La mort de Victor Noir
Le 10 janvier 1870, Pascal Grousset, co-fondateur de La Revanche, décide de relever le défi lancé par Pierre Napoléon Bonaparte à Louis Tommasini; il envoie au domicile du prince ses deux témoins. Il s'agit de deux journalistes: Ulrich de Fonvielle et Victor Noir. Pierre Napoléon les reçoit mais l'entrevue dégénère. Les deux hommes se montrent incor-rects et provocateurs. Victor Noir frappe le prince au visage. Ce dernier sort un revolver de sa poche et tire sur le journaliste qui, atteint à la poitrine, meurt peu après. Les médecins constateront sur place le décès de Victor Noir et des traces de violences sur Pierre Napoléon qui est arrêté sur ordre du Préfet de police. Cette affaire fait grand bruit et fragilise l'Empire. Les obsèques de Victor Noir donnent lieu à d'importantes manifestations et à des affronte-ments avec la police. Le 20 mars 1870, comme l'exigeait son rang, Pierre Napoléon Bona-parte est traduit devant la Haute Cour de Justice à Tours. Les débats sont confus et émaillés de nombreux incidents, mais la légitime défense est reconnue, il est acquitté. Pour éviter des troubles éventuels, Napoléon III demande à son cousin de quitter Paris. Ne s'estimant pas responsable de la mort de Victor Noir, celui-ci refuse.
La guerre franco-prussienne.
Le 19 juillet 1870, lors du déclenchement de la guerre avec la Prusse, Pierre Napoléon Bonaparte propose ses services à l'Empereur, puis à l'Impératrice. Sans succès. Il décide alors de quitter la France et retourne en Belgique. Le 1er septembre, c'est le désastre de Se-dan et la capitulation. Il apprend que le train qui conduit l'Empereur prisonnier vers la Prusse doit faire halte le 4 septembre dans la petite gare belge de Jemelles, non loin de Ro-chefort. Il s'y rend, accompagné de son fils Roland. C'est dans ce train que les deux cousins s'entretiendront quelques instants pour ta dernière fois.
Une fin de vie aux portes de la misère.
La chute de l'Empire prive Pierre Napoléon de son allocation. Ruiné, il est contraint de vendre ses immeubles de Bruxelles sous la pression de nombreux créanciers. À Paris, la maison d'Auteuil, qui avait été épargnée par les Prussiens, est pillée et incendiée par les communards. En Corse, la maison de Lutzibeu est également incendiée et détruite. Il se ma-rie à la légation de France à Bruxelles. Ce mariage, qui est légitime sous la République Française, permet à Nina de porter le titre de Princesse Impériale tant souhaité et surtout à leurs enfants Roland et Jeanne d'être légitimés. En 1873, Pierre Napoléon et Nina vivent désormais séparés et dans la misère. Il est en Belgique, avec Adèle Didriche, sa servante et maîtresse, Nina à Paris avec les enfants. Depuis deux ans, Pierre Napoléon diabétique et rhumatisant, voit son état empirer rapidement.
Autorisé à rentrer en France, il quitte la Belgique pour Versailles en août 1877. Il s'ins-talle dans un petit hôtel tenu par un Corse. Il est diminué physiquement et intellectuelle-ment, notamment à cause des fortes doses de morphine qu'il utilise. Il essaie de sortir de la misère en sollicitant des chefs d'État ou de gouvernement. Il reçoit ainsi des secours du Ma-réchal Mac-Mahon et du roi d'Italie Victor Emmanuel. Un véritable miracle financier se produit lorsque son fils Roland, jeune lieutenant sorti de Saint-Cyr, épouse Marie Blanc, fille d'un richissime propriétaire de Casino, le 17 novembre 1880. Pierre Napoléon, prati-quement grabataire, ne peut assister au mariage. Roland règlera les dettes des ses parents et assurera une pension à son père.
Pierre Napoléon Bonaparte, qui "avait rêvé mourir sur un champ de bataille" s'éteint le 8 avril 1881 à Versailles, après une longue agonie, entouré de Nina, de ses enfants et d'Adèle. À sa demande, il rend son dernier soupir sur un matelas disposé à même le sol, car déclarait-il "un soldat ne doit pas mourir dans son lit". Il repose depuis au cimetière de Versailles.
La descendance du prince Pierre Napoléon Bonaparte
Le Prince Roland Bonaparte
Son unique fils Roland est né à Paris le 19 mai 1858 et mort à Paris le 14 avril 1924. Après de bonnes études, Roland entre à Saint-Cyr en 1878. II en sort sous-lieutenant au ba-taillon du 36ème de ligne caserné à Saint-Cloud. Le 17 novembre 1880, grâce aux intrigues de sa mère, il épouse Marie-Félix Blanc (1859-1882), fille du richissime François Blanc, fonda-teur du casino de Monte-Carlo et de la Société des bains de mer de Monaco. Le 16 juillet 1886, Roland est rayé des cadres de l'armée en tant que membre d'une famille ayant régné sur la France, et ce bien qu'un sénatus-consulte du 18 mars 1804 ait rendu non dynastes Lu-cien et ses descendants. Il devient géographe et botaniste et sera président de la Société de géographie et de l'Institut international d'anthropologie, ainsi que membre libre de l'Acadé-mie des sciences.
La princesse Jeanne Bonaparte, marquise de Villeneuve
Sa fille Jeanne née à Orval (Belgique) en 1861 et décédée le 25 juillet 1910 en France, épousera Christian de Villeneuve-Esclapon, Marquis de Villeneuve-Esclapon et deviendra Marquise de Villeneuve.
Sa descendance est toujours représentée.
La princesse Marie Bonaparte, princesse Georges de Grèce
Sa petite fille, Marie, fille de Roland Bonaparte et de Marie Félix Blanc, née en 1882 et dé-cédée en 1962, épouse en 1907 le prince Georges de Grèce (1869-1957), second fils du roi Georges 1er. Privée de mère, Marie est élevée, les premières années, par une succession de nourrices et un entourage domestique sous la férule de l'autorité tyrannique de sa grand-mère paternelle (Eléonore, Justine Ruffin, dite Nina). Elle reçoit une éducation marquée par de nombreux préjugés et contraintes inculqués par sa terrible grand-mère. Elle reçoit néan-moins un enseignement de qualité, qui lui permet d'être polyglotte très tôt et de se passion-ner pour le théâtre. Elle commence sa vie mondaine en 1905 et souffre de troubles hypocon-driaques. Son père tente de la marier selon ses vues. En 1906, elle rencontre le roi Georges 1er de Grèce qui favorise un mariage avec son second fils, Georges de Grèce, qui ne s'inté-ressera jamais à elle. Pendant la Première Guerre mondiale, elle entretient une liaison avec Aristide Briand. En 1923, Marie Bonaparte lit "l'Introduction à la psychanalyse" de Sigmund Freud. La même année elle fait la connaissance de René Laforgue, célèbre psychiatre et psychanalyste français, avec qui elle fonde la Revue française de psychanalyse. Elle fré-quente les causeries, qui présentaient à un public restreint les premières notions de la psy-chanalyse. En 1925, elle convainc Laforgue d'intercéder auprès de Freud pour que ce dernier la prenne en psychanalyse, puis elle devient sa patiente. Cette psychanalyse, contrairement aux usages de l'époque, sera très longue puisqu'elle se poursuivra jusqu'en 1938. Freud lui demande de se consacrer au développement de la psychanalyse en France; elle devient sa représentante à Paris. En 1936, elle achète à un marchand d'objets d'art la volumineuse cor-respondance de Freud avec le sexologue allemand Wilhelm Fliess, mise en vente par la veuve de ce dernier. Elle refuse de restituer à Freud ces documents: elle pressent que le fon-dateur de la psychanalyse les aurait détruits comme déjà il l'avait fait, pour ses propres écrits. Elle les traduira et ne les fera paraître, dans une version expurgée, qu'après la mort de Freud, en 1950, sous le titre "La naissance de la psychanalyse". La plupart de commentateurs s'accordent sur le fait que Marie Bonaparte a joué un rôle important dans l'installation de la psychanalyse en France.