Dans le grand théâtre du monde, où chaque être joue son rôle éphémère, avec plus ou moins d’éclat, d’intelligence, d’humanité ou plus simplement d’honnêteté, notre quotidien n’est plus désormais qu’un grand spectacle. Spectacle, où la nature humaine se dévoile, tour à tour, dans toute sa splendeur et dans toute sa laideur, tantôt magnifique, tantôt pathétique. Le moindre bruissement d’aile provoque des tourbillons, des tempêtes, des orages médiatiques. Que ce soit sur la toile, au bistrot du coin, dans les stades de foot, devant la machine à café ou au sein même du cercle familial, les pour et les contre, s’écharpent, s’opposent, se désaccordent. Chacun y apportant son vent contraire, sa chiquenaude de contrariété, sa pichenette de mésentente supplémentaire. Et quand, comme dans l’œil du cyclone, soudainement, le calme surgit temporairement, qu’une entente précaire se fait, c’est uniquement pour tomber à bras raccourcis sur cet indécis, ce velléitaire, ce versatile qui garde le silence. Qui, se trouvant incapable de prendre un parti pris, tel un fétu de paille, une feuille morte, une tuile mal fixée, se retrouve violemment emporté par cette effervescence, ces emportements, ce tapage.
Étrange constat que celui-ci, aussi désolant que déroutant, car tous et toutes, se déclarent, se revendiquent, s’érigent en homme et femme de bonne volonté…
Et nous autres, Anciens Légionnaires, Anciens soldats de toutes nos Armées, qui ne sommes réellement tenus à notre devoir de réserve, il faut bien le dire, que par le cœur et par notre fidélité à notre passé partagé, où nous trouvons-nous dans ces tempêtes ? Quel personnage endossons-nous dans ces mauvaises pièces de théâtre où les querelles futiles, stériles, inutiles, se disputent aux passions effrénées, déchaînées, enragées ? Sauf à croire que, ne rien dire, ne rien écrire, ne rien penser, est la moins mauvaise des attitudes, et qu’ainsi, peut-être, aucune colère n’éclatera, aucune prise de position ne pourra dégénérer ensuite en contestation, aucune accusation de trahison ne pourra être portée ; faire profil bas, baisser la tête, se cacher derrière son petit doigt, n’a jamais été notre ligne de conduite, notre credo, notre orthodoxie où l’honneur et la fidélité ont force de Loi. Quelle attitude, devons-nous adopter, devant cette météo aussi délétère qu’incertaine, sur ces flots bouillonnants, tumultueux, dangereux ?
Je me garderai bien de vous donner un cap sur ces mers démontées, n’ayant pas le pied marin, cela ne pourrait que se terminer par un naufrage. Je me garderai tout aussi bien, d’être l’un de ces marins d’eau douce, dont on s’étonne de son curieux besoin de faire des phrases, sur des sujets aussi sensibles, importants, fondamentaux, que la Démocratie, la Liberté d’expression ou l’Avenir de nos enfants… Et je n’ai ni la vocation, ni l’envie, et surtout ni les capacités intellectuelles, d’être une sorte de tribun, qui saurait par de doctes discours, vous diriger vers des eaux plus calmes, plus paisibles, moins piégeuses. Sans oublier que ma vanité personnelle, se porte toujours mieux, lorsque les eaux sont à hauteur de mes ambitions, donc très peu profondes et où je ne risque aucunement de me noyer…
Que nous restent-ils alors, comme possible conduite à tenir, comme modèles à suivre, comme références auxquelles nous pourrions nous raccrocher ? Je n’en vois qu’une ! Le calme des vieilles troupes. Le calme des vétérans, de nos Anciens, de nos Pères, ceux qui ont traversé les tempêtes et bravé les orages de la vie, de la guerre parfois, des terribles épreuves qui ont fait notre Histoire, s'impose comme une leçon majestueuse à tous les cœurs tumultueux.
Voyez ces figures, marquées par les années, portant sur leurs épaules le poids des batailles, des combats, des épreuves passées. Leurs regards, autrefois vifs et ardents, se sont adoucis, empreints d'une sagesse infinie. Il n'est plus de place pour les querelles futiles ou les passions dévorantes ; seule demeure une sérénité conquise de haute lutte, un calme imposant comme les montagnes immobiles sous l'éclat d'un soleil couchant.
Leur calme est celui des chênes séculaires qui, malgré les vents et les tempêtes, demeurent ancrés profondément dans la terre. Ils ne craignent plus les bourrasques ni les éclairs, car ils ont vu mille et une fois le ciel se déchirer pour renaître dans une aube apaisée. Ce calme, fruit de tant de combats et de résignations, est un trésor que seuls les ans peuvent accorder. Une récompense pour ceux qui ont su endurer sans faillir, accepter sans jamais se renier, lutter sans rien concéder de leur humanité, comme un hommage permanent à la force intérieure et à la durabilité des valeurs humaines face aux épreuves…
En observant ces vieilles troupes, on perçoit une musique douce, celle du temps qui passe et polit les âmes. Chaque ride est une note, chaque souvenir une mélodie. Elles ont appris que les plus grandes batailles, les plus grandes épreuves, se livrent, se surmontent dans le silence et que la véritable bravoure réside dans l’acceptation du destin, tel qu’il vient.
Les vieilles troupes, dans leur calme olympien, enseignent l’art de vivre avec dignité et patience. Elles rappellent à ceux qui les regardent que la vie, malgré ses tumultes et ses chagrins, est un fleuve majestueux qu'il convient de suivre avec humilité. Leur tranquillité est un phare pour les esprits tourmentés, une preuve éclatante que la paix intérieure est le plus précieux des butins, celui que l’on trouve au terme d’une longue et noble quête.
Ainsi, le calme des vieilles troupes, semblable au silence des cathédrales ou à la quiétude des forêts profondes, est une poésie muette, un hommage à la force tranquille de l’âme humaine. Cette sérénité, c’est Marc Aurèle qui nous murmure à l’oreille : « Ne t'inquiète pas de l'avenir. Tu l'aborderas, si nécessaire, armé de la même raison dont tu te sers pour le présent. ».
Le calme des vieilles troupes, vous en connaissez tous ses odeurs, ses couleurs, ses bruits. Rappelez-vous, quand tous vos sens en alerte, agités, excités par d’éventuelles promesses d’action, d’hypothétiques rêves de gloire ou l’inquiétante crainte de l’inconnu, comment nos Anciens, nous rappelaient à la raison, à la maîtrise de soi, à garder notre sang-froid. Sans discours grandiloquents, sans paroles pompeuses, sans démonstrations emphatiques, simplement en restant calme en toutes circonstances.
C’est ce dont nous avons le plus besoin, aujourd’hui… Le calme des vieilles troupes…
JMD